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16/02/2009
Publié dans la Piedra No5,

Le 29 octobre 2007, l'ambassade des États-Unis a sollicité devant le Ministère colombien des Relations extérieures l'extradition de trois prisonniers rebelles appartenant à l’Ejército de Liberación Nacional – ELN, afin de permettre leur comparution, aux États-Unis, sous les accusations de « complot pour commettre une prise d'otages, prise d'otage, aide et collaboration au dit délit ». Cette accusation se réfère à l'enlèvement en territoire colombien d'un citoyen détenant la double citoyenneté colombienne et étatsunienne, en août 2004. Cette demande d'extradition relance le débat entourant la comparution de Colombiens devant des tribunaux internationaux. Au moment où le gouvernement d’Uribe met sur la glace les ordres d'extraditions impliquant des chefs paramilitaires, il n'hésite pas à recourir à cette figure juridique face aux membres des organisations insurrectionnelles. Alors que la Constitution nationale interdisait auparavant l'extradition de citoyens colombiens (art. 35), la réforme constitutionnelle (décret 1765 de 1997) ouvre la voie à celle-ci pour des délits commis totalement ou partiellement à l'étranger. Selon la Cour constitutionnelle de Colombie, la figure juridique de l'extradition se fonde sur « la coopération internationale en vue d'empêcher qu'une personne qui a commis un délit à l'étranger déjoue l'action de la justice en se réfugiant dans un pays distinct de celui dans lequel fût commis le délit »1. Il est alors question d'éviter un état d'impunité au niveau global. Il est cependant nécessaire d'analyser ce concept juridique à la lumière de la situation d'un pays comme la Colombie, empêtré dans de profondes relations de dépendance, principalement économiques, qui influencent les sphères politiques, juridiques et législatives, lesquelles loin d'être souveraines sont imbriquées dans un réseau global de production et de commerce où il n'existe par d'égalité de conditions. En d'autres mots, la Colombie est partie prenante d'un contexte mondial où certains pays détiennent le monopole de la richesse et des moyens de production de la planète alors que d'autres, formant le dit « tiers monde » sont soumis à la domination des premiers.

Un instrument de l’impérialisme

La réapparition de la figure de l'extradition dans la législation colombienne n'échappe pas à cette réalité, bien au contraire, elle met en évidence le caractère dépendant de notre pays. Cette mesure visait à éviter la fuite de devises que génère le marché de la drogue, lequel, ne l'oublions pas est un trafic plus rentable que celui du pétrole ou de la vente d'armes et qui a, entre autres, permis aux États-Unis de financer diverses guerres, telles que celles des Contras en Amérique centrale ou les guerres secrètes menées dans le « Triangle d'Or » au Laos et en Thaïlande, grâce aux revenus liés au trafic d'héroïne. En Colombie, tout indique également que le paramilitarisme a été financé grâce aux revenus du narcotrafic avec l'aval de la DEA (United States Drug Enforcement Administration) ce que confirme les versions libres données par les chefs paramilitaires lors de leur démobilisation. L'extradition de citoyens colombiens, irakiens, afghans ou de tout autre pays est un droit dont se prémunissent les colonisateurs pour confirmer l'étendue de leur pouvoir sur l'ensemble de la planète et s'imposer comme la superpolice mondiale face aux autres puissances impérialistes. Les puissances hégémoniques mondiales poursuivent une mission permanente de reconfiguration de l'ordre mondial en faveur de leurs intérêts stratégiques et, ce faisant, définissent les orientations de la politique interne des pays inféodés. Le document officiel de la Stratégie 2016 du SouthCom (une branche du Département américain de la Défense chargée de l'Amérique latine) offre un exemple de cette dynamique lorsqu'il définit sa mission en ces termes : « réaliser des opérations militaires et promouvoir la coopération en matière de sécurité pour atteindre les objectifs stratégiques des États-Unis », en précisant que « La sécurité, la stabilité et une meilleure prospérité pour l'année 2016 dépendent de la création d'un environnement de sécurité hémisphérique (...) Que se soit en combattant les organisations criminelles ou le terrorisme, nous devons trouver la manière de concentrer nos connaissances de tous les associés en vue de vaincre les groupes qui souhaitent nous empêcher d'atteindre nos objectifs. Les défis de sécurité sur le continent ne sont pas des menaces militaires traditionnelles et sont souvent liés et/ou impliquent des acteurs de l'État ... » De toute évidence, la création d'un environnement stable garantissant la sécurité des investissements est l'objectif principal de la puissance impérialiste. En Amérique latine, ceci implique une stratégie de lutte contre les organisations qui s'opposent à ses intérêts en recourant à « tous les instruments d'autorité nationale, parmi lesquels, ceux diplomatiques, militaires, économiques, financiers, d'intelligence et d'informations et ceux juridiques ». L'appui aux gouvernements prêts à exécuter à la lettre chacune des orientations tracées par la puissance est également un élément fondamental de ces plans stratégiques de « pacification ». Voilà la nature du système politique et économique dans lequel notre pays est immergé bien que la vérité officielle édicte plutôt la nécessité de combattre au niveau global « les drogues, le narcotrafic et le terrorisme ».

Un instrument pour bâilloner l’opposition

À preuve, lorsque dans son rapport bilan du Plan Colombie 1999-2005 2 met en évidence la volonté du gouvernement de poursuivre la politique d'extradition, laquelle est présentée comme une façon de démanteler les réseaux du narcotrafic associés aux organisations étiquetées de terroriste. Dans ce contexte, le concept de souveraineté nationale ne peut être autre chose qu'une fiction inopérante, dans la mesure où il ne saurait être question d'indépendance et d'autodétermination dans le cas d'un gouvernement qui reçoit et exécute les ordres que dictent les puissances hégémoniques pour assurer la prédominance de leurs intérêts sur le territoire. Alors, lorsque l'extradition est présentée en tant que figure juridique fondée sur la coopération internationale, il importe de distinguer de quelle coopération il s'agit afin de comprendre pourquoi l'État colombien renonce à son pouvoir punitif et à sa souveraineté judiciaire et remet ses citoyens pour qu'ils soient jugés dans des régimes judiciaires étrangers et afin de comprendre également pourquoi une sollicitude d'extradition se traduit dans la pratique en un ordre d'extradition. Lorsque le Southcom cite dans son plan stratégique la nécessité de combattre tous « les groupes qui empêchent d'atteindre nos objectifs », on retrouve parmi eux, bien évidemment, ceux qui aujourd'hui se soulèvent dans notre pays pour confronter les rapports de domination imposés par les États-Unis. C'est à cet objectif que répond réellement la sollicitude d'extradition des trois rebelles de l'ELN que nous avons mentionné au début de cet article : au besoin de punir de façon exemplaire le soulèvement armé contre l'État, tout en réaffirmant l'interventionnisme, dans notre pays, d'un gouvernement qui s'est octroyé le titre universel d'exemples de « démocratie et de libertés ». Ce cas et les précédents cas d'extradition de rebelles vers les États-Unis ouvrent large la porte à des possibilités hautement préoccupantes. Il n'est pas impossible par exemple que, dans un avenir proche, sous l'impératif de « défense des intérêts nationaux », des syndicalistes ou toutes autres personnes liées aux mouvements populaires soient demandées en extradition pour s'être opposées à l'exploitation de nos ressources naturelles par des compagnies nord-américaines ou s'être opposées à la présence impérialiste, quelque soit le mode d'opposition. À nos yeux, l'extradition de rebelles colombiens et leur comparution devant des cours étatsuniennes vient légitimer la lutte quotidienne qui se mène en Colombie en dehors de la réalité déformée par le pervers jeux médiatique.

Notes

  1. Corte Constitutional, Colombia. Sentencia C-1106 de 2000.
  2. Balance Plan Colombia, de 1999 a 2005 Sitio del Departamento Nacional de Planeacion http://www.dnp.gov.co]] ,le gouvernement colombien souhaite quantifier les avancés en termes de lutte contre les organisations terroristes, il se réfère à l'augmentation du nombre d'extraditions. On y apprend que « le Gouvernement colombien a extradé un total de 428 personnes entre 1999 et 2005 ». Suivant la même logique, le document Stratégies de renforcement de la démocratie et du développement social 2007-2013 [[Estrategias de Fortalecimiento de la Democracia y el Desarrollo Social (2007-2013) Idem. http://www.dnp.gov.co
Author
Équipe juridique, Comité de solidarité avec les prisonniers politique,