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02/03/2007

"Si on contait tout ce qui se passe jour après jour au DAS, le monde ne pourrait plus dormir" Jorge Noguera, ex-directeur du Département administratif de sécurité (DAS- Colombie)

Le terrorisme d´État en Colombie

En Colombie, on calcule que le nombre de morts dues à la répression politique, de 1986 à aujourd`hui, surpasse les 70 000 victimes. Chiffre auquel on doit ajouter plus de 10000 disparuEs, 4 millions de déplacéEs internes et des dizaines de milliers d`exiléEs. La plupart des victimes faisant parti d’organisations populaires ou de groupes d’opposition politique. Ainsi, un syndicat comme la Centrale unitaire des travailleurs (CUT-Colombie) compte plus de 5 000 membres assassinéEs depuis sa fondation, vers 1986. La répression brutale contre les mouvements sociaux, syndicalistes, étudiantEs, autochtones, paysanNEs, militantEs politiques n`est pas simplement un fait historique, mais se poursuit aujourd`hui même et est mené par l’État colombien au travers l’armée, la police et les services de renseignements qui entretiennent tous des liens avec le paramilitarisme et bien sur, les États-Unis. Un but : maintenir le pouvoir de l’oligarchie colombienne ainsi que celui de leurs alliés étatsuniens dans une « guerre de basse intensité » contre la population.

Le Paramilitarisme

Le paramilitarisme en Colombie est un sujet beaucoup trop large pour un simple article. Il se manifeste de plusieurs façons: déplacement et massacre de population civile dans les zones rurales (pour le contrôle de la terre, pour « crime de sympathie à la guérilla », etc.); contrôle social dans certains quartiers (rétention des entrées et sorties, assassinats de petits vendeurs de drogues, application d’un couvre feu aux habitantEs, contrôlant jusqu’à l’habillement des jeunes filles, etc.); ou encore répression politique par des menaces et l’assassinats de leaders populaires s’opposant au gouvernement. Le paramilitarisme entretient des liens avec le narcotrafic, mais également avec l’armée nationale, la police et le Département administratif de sécurité (DAS). Par exemple, un des directeurs du DAS a récemment été accusé de fournir des listes d’opposantEs politiques, syndicalistes et individuEs suspectéEs d’entretenir des liens avec la guérilla au chef paramilitaire Jorge 40 afin qu’ils-elles soient éliminéEs.
 AUC Limpieza : le concept de propreté sociale des paramilitaires.  title=Les bons enfants se couchent à 9H, les autres, nous les couchons. Graffiti typique des AUC dans les quartiers sous leur contrôle.

L’ESMAD

L’Escadron mobile anti-émeute (ESMAD) est un corps spécial de la police nationale de Colombie présent dans les plus grandes villes (Bogota, Medellin, Bucaramanga, Barranquilla, Cali). Créé en 1999, celui-ci a comme fonction avouée (Directive 0205 24-03-99) de réprimer : « les étudiantEs, travailleurs et travailleuses, habitantEs des communes, marches de paysanNEs, [...], les déplacéEs, entre autre » qui « dans le climat social de 1999 […], tendent à utiliser comme moyens de pression les journées de protestation nationale, de provoquer des crises dans les services publics, de promouvoir la grève générale, la grève nationale du transport, les manifestations d’opposition dans les villes importantes, le grabuge dans les universités et l’extériorisation générale du mécontentement […]» dans un pays où 70% de la population vit sous le seuil de la pauvreté (Ce qui démontre bien le dicton : Plus plus plus qu’y coupent, plus qu’y mettent de flics…). Depuis sa naissance, l`ESMAD a manifesté sa brutalité à de nombreuses occasions, provoquant, détruisant lui-même l`infrastructure, frappant, gazant, mutilant et assassinant manifestantEs, étudiantEs, autochtones et paysanNEs. Depuis 2005 seulement, cinq jeunes sont morts aux mains de l’ESMAD : Nicolas Neira, assassiné lors de la manifestation du 1er mai 2005; Jhony Silva Aranguren, abattu d’une balle dans le cou sur le campus de l’Université de Valle lors d’un blocage de rue contre le Traité de libre-échange (TLC) entre les États-Unis et la Colombie; Belisario Guetoto, autochtone de 16 ans abattu par l’ESMAD alors qu’il participait à une réappropriation de terres ancestrales dans le Cauca en 2005; Oscar Salas, de l’Université Districtal, tué en 2006 lors d’une manifestation de commémoration des 40 ans de la mort de Camilo Torres, d’une balle de “perdigón” dans l’œil et finalement, Pedro Mauricio Poscue, tué dans la réserve de la Maria dans le Cauca en 2006, lors d’un bloca"ge contre la construction de l’autoroute panaméricaine. À l’exception de deux policiers qui sont sous enquête depuis janvier 2006 pour l’assassinat de Nicolas Neira cinq ans plus tôt, tous ces crimes restent dans l’impunité. Voyons pourquoi.

Le cas de Nicolas Neira

« Nous tenons une police corrompue, assassine et tortionnaire. » Yuri Neira Salamanca

Lors de la manifestation du premier mai 2005, Nicolas Neira, un jeune de 15 ans, est assassiné par les policiers de l’ESMAD. Souffrant d’asthme et ne pouvant se sauver alors que les policiers envoient des gaz lacrymogène dans la foule, il est battu à coups de matraque dans la tête, à coups de poings et de pieds, par huit agents de l’ESMAD. Alors qu’il gît sur le sol, les agents l’encerclent afin d’empêcher qu’il soit secouru. Des manifestantEs forcent alors le cercle et emportent Nicolas vers un taxi qui l’emmène aux soins intensifs. Le père de Nicolas Neira, Yury Neira Salamanca, commence immédiatement à dénoncer publiquement ce qui s’est produit. Vers 2H am, alors qu’il revient de voir son fils qui gît dans le coma à l’urgence, il s’arrête chez un ami, habitant lui-même loin de la clinique. Un policier qui refuse de s’identifier l’appelle vers 3H am chez son ami, alors qu’il ne pouvait savoir qu’il se trouvait là-bas, pour lui demander de se présenter au poste. Devant son refus, un autre policier l’appelle de la porte du bloc appartement et lui demande agressivement de sortir. Yury refuse ayant peur de se faire assassiner à son tour. Dans la semaine qui suit, même s’il est dans le coma, des policiers se présentent à la clinique afin d’interroger Nicolas, sans succès évidemment. Ce dernier meurt de ses multiples fractures cérébrales le 6 mai 2005. À l’hôpital, alors que le corps doit être transféré à la morgue, Yuri, pour sortir, doit se cacher dans la camionnette d’une ONG, car 8 policiers en civil l’attendent dans le stationnement de l’hôpital et il craint que ce ne soit pour l’enlever. Alors que le corps de Nicolas est exposé à l’extérieur de son collège afin que ses camarades puissent faire leurs adieux, plusieurs camionnettes et motos de police passent et prennent des photos afin d’intimider les participantEs. Lors de l’enterrement, plusieurs policiers en civils sont également présents, reconnus grâce à leurs véhicules officiels et leurs radios. Quinze jours plus tard, alors que Yuri rentre à la maison et est à 100 m de chez lui, un taxi l’interpelle par son nom. Alors qu’il se retourne, le conducteur sort un revolver et lui dit d’arrêter de dire autant de conneries, qu’il sait où il habite et de ne pas aller dénoncer à la Fiscalia (Ministère de la Justice). Mais Yuri ne se laisse pas intimider : 15 à 20 jours plus tard, alors qu’il rentre chez lui, 2 personnes à moto lui tirent dessus trois fois, mais Yuri n’est pas touché. Dans les mois qui suivent, il reçoit de nombreuses menaces de mort. Le 3 juillet 2006, trois policiers l’embarquent dans leur véhicule pour lui faire faire des tours, afin de le terroriser, car il refuse de leur dire où il travaille. Refus motivé par le fait que trois mois auparavant, alors qu’il tenait un bon poste dans une entreprise de sécurité, deux policiers en civil ont rendu visite à son gérant et il est congédié immédiatement après leur visite. Selon Yuri, l’anarchiste qui écrivit la dénonciation internationale du meurtre de son fils se fit également menacé et fut victime de deux tentatives de meurtre avant de devoir sortir du pays un certain temps. Malgré les menaces et le danger pour sa vie, Yuri Neira Salamanca continue sa lutte pour la vérité et la justice et refuse de sortir du pays disant que « ceux qui doivent sortir sont tous les assassins qui sont dans le gouvernement. »
|Le service obligatoire| |En Colombie, le service militaire est obligatoire pour tous les garçons qui ne sont pas fils unique, sans père, en mauvaise santé ou encore… riche! Alors que l’on peut éviter le service militaire en achetant le « livret » pour près de 4 millions de pesos (2000$Can), luxe que peuvent seulement se permettre les privilégies, les pauvres ont le choix entre le service dans l’armée ou dans la police. Fait par les jeunes habituellement à la sortie du collège, le service obligatoire est de un an, à temps plein title=. Pour ceux qui choisissent la police, ce qui, au contraire de l’armée, implique de payer ses frais de nourriture, hébergement, déplacement, le solde est de 40$Can mensuellement, alors que dans l’armée, il est de seulement 10$Can. Ainsi, on peut voir une véritable horde d’adolescents policiers dans les rues de Bogota. Pour ceux qui choisissent de déserter, la punition est le service obligatoire pour deux ans, question de bien intérioriser le slogan de la police nationale « Dieu et Patrie! ».| La « guerre sale » se poursuit

Avec le processus de « démobilisation » des forces paramilitaires (loi de Justicia y Paz) de 2004, on assiste plutôt à un processus de légalisation du paramilitarisme. Malgré ses 30 000 paras « démobilisés », seulement 604 ont avoué avoir fait un quelconque délit. Le paramilitarisme reste bien vivant à travers des groupes qui demeurent actifs ou de nouveaux groupes comme les « Aguilas Negras », qui, dans leurs plus récentes menaces contres les militantEs étudiantEs du 13 février 2007, affirment que « pour ceux qui propagent des idées qui vont à l’encontre d’une nouvelle Colombie, l’ordre est de tuer (...) » et que ceux « qui partagent les idéaux du Polo guérillero (PDA, coalition politique de gauche) ont une place réservée au cimetière. » Pas surprenant alors que le gouvernement uribiste parle de militarisation des universités, accusant celles-ci d’être des foyers de subversion, les étudiantEs d’être des terroristes, les convertissant ainsi en objectif militaire pour le paramilitarisme. Ainsi, en Colombie, la brutalité dépasse bien le cadre de la police et de l´État de droit, se convertissant en « guerre sale» ou guerre de basse intensité contre toute transformation sociale et toute opposition au gouvernement.

*** Philippe V. Regroupement autonome des jeunes - Sherbrooke

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