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28/05/2013

En 2011, 56 % des sociétés minières canadiennes développaient des activités dans 106 pays étrangers, principalement ceux en développement où le potentiel minier est encore peu exploité.[1] Or, faute de cadres institutionnels, législatifs et réglementaires suffisants dans ces pays, les efforts des minières en matière de réduction des impacts de leurs activités se relâchent, tandis que les pratiques portant atteinte à l’environnement ou enfreignant les droits humains se développent. Entre 1999 et 2009, plus de 171 cas d’infractions de ce genre ont été rapportés, dont 33 % sont imputables à des sociétés minières canadiennes[2]. Étant donné leur rattachement au Canada par leur siège social, de quelle manière celui-ci encadre-t-il les activités extraterritoriales de ces sociétés d’un point de vue juridique?

 

L’absence de législation applicable

Au Canada, la législation en la matière brille justement par son absence. Le gouvernement invoque le principe de souveraineté du droit international, pour justifier sa position et s’abstenir d’établir une législation nationale susceptible d’avoir des retombées positives en-dehors du pays. Pourtant, les occasions n’ont pas manqué.

Entre autres, le 9 février 2009, un projet de loi a été déposé devant la Chambre des communes par le député libéral John McKay. Réclamé et largement soutenu par la société civile canadienne, le Projet de loi C-300 : Loi sur la responsabilisation des sociétés à l'égard de leurs activités minières, pétrolières ou gazières dans les pays en développement devait permettre d’imposer des normes relatives aux droits humains, au travail et à l’environnement aux minières canadiennes à l’étranger. Il prévoyait aussi la création d’un mécanisme de plainte accessible aux citoyens canadiens et aux populations affectées à l’étranger, afin de sanctionner les manquements à ces normes. Le projet de loi a été rejeté le 27 octobre 2010.

La jurisprudence non plus n’entérine aucune avancée juridique sur le sujet. Si l’affaire Anvil Mining a été suivie avec beaucoup d’intérêt au Québec et avec espoir par la société civile, la décision n’a fait que confirmer la réticence du Canada à s’engager sur ce terrain glissant. Dans cette affaire, les familles des victimes du massacre de la ville de Kilwa au Congo en octobre 2004, regroupées au sein de l’Association canadienne contre l’impunité (ACCI), demandaient l’autorisation d’exercer un recours collectif contre la société minière canadienne Anvil Mining Ltd, qu’elles accusaient d’avoir aidé l’armée congolaise à perpétrer les exactions sur la population de Kilwa. Devant la Cour supérieure du Québec, Anvil a plaidé que les tribunaux du Québec ne sont pas le « forum approprié » pour juger l’affaire. En avril 2011, la Cour supérieure a rejeté ce moyen déclinatoire et autorisé l’action collective, en se fondant sur une interprétation élargie de la compétence internationale des tribunaux du Québec au titre des articles 3148(2), 3135 et 3136 du Code civil du Québec[3]. Cette décision a été renversée par la Cour d’appel[4], puis portée devant la Cour suprême du Canada qui, en novembre 2012, rejeta la demande d’autorisation d’appel de l’ACCI[5]. En conséquence, il devient difficile d’imaginer une action en justice au Canada, intentée par les victimes de graves violations de droits humains perpétrées à l’étranger par des entreprises minières canadiennes.

Ainsi, malgré la pression de la société civile, les activités extraterritoriales des sociétés minières canadiennes ne semblent soumises à aucune exigence en matière de droits humains ou de protection environnementale par le droit canadien. Néanmoins, jusqu’en 2012, la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (LCéE), à travers son Règlement sur le processus d’évaluation environnementale des projets à réaliser à l’extérieur du Canada, permettait d’encadrer des aspects de ces activités, lorsqu’elles bénéficiaient d’une subvention du gouvernement fédéral. La réalisation d’une évaluation environnementale constituait une condition d’octroi de l’aide financière et des normes spécifiques devaient être observées tout au long du projet, afin d’éviter sinon de minimiser les impacts sociaux et environnementaux. Par le biais de ces subventions, le gouvernement canadien disposait d’un certain pouvoir de contrôle sur le développement de projets miniers à l’étranger. La LCéE a été abrogée en 2012, ainsi que son règlement, et remplacée par la LCéE 2012. Le règlement en question est voué à disparaître : il ne continue de s’appliquer que pour les projets déjà en cours, à titre de disposition transitoire pour la nouvelle Loi.

 

Vers des normes volontaires

En 2009, le gouvernement fédéral annonçait, dans sa nouvelle stratégie intitulée Renforcer l’avantage canadien : Stratégie de responsabilité sociale des entreprises (RSE) pour les sociétés extractives canadiennes présentes à l’étranger, son intention de mettrel’accent sur les initiatives volontaires pour encadrer les activités des sociétés minières canadiennes à l’étranger[6]. En effet, le gouvernement canadien estime que l’approche volontaire est plus efficace que les mesures punitives[7]. Il encourage donc le développement de pratiques de RSE favorisant la bonne conduite des sociétés minières sans toutefois leur imposer de véritables contraintes et il se limite à collaborer avec elles, pour améliorer ces pratiques.

A cette fin, le Bureau du conseiller en RSE de l’industrie extractive a été créé pour résoudre d’éventuels problèmes liés aux activités de ces sociétés. Les compétences du conseiller sont limitées : en cas de conflit, il aide les parties à trouver une solution à l’amiable. Malgré les efforts pour le rendre crédible, impartial et transparent, le processus reste extrajudiciaire et on peut se demander s’il est favorable aux populations des pays dont la capacité de négociation ne peut égaler celle des multinationales. En outre, hors du mécanisme de plaintes formel, la compagnie peut interrompre le dialogue à tout moment.

Le point de contact national du Canada pour lesPrincipes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales (2008) s’assure, lui aussi, que ces dernières respectent un ensemble de normes volontaires de comportement responsable et entend les allégations de conduites non-conformes à ces principes.

Relevant du droit mou, les normes volontaires ont une portée limitée. Elles n’imposent de codes de conduite qu’aux sociétés qui décident par elles-mêmes de s’y conformer. En cas de non-respect des valeurs et pratiques promues, telles que des atteintes à l’environnement et aux droits humains, les processus de règlement existants échappent au système juridique canadien traditionnel. L’approche volontaire n’a donc qu’un effet aléatoire sur la maîtrise des impacts des sociétés canadiennes implantées à l’étranger. Elle vise plus à conscientiser qu’à dissuader, et semble peu prometteuse pour prévenir et résoudre efficacement les problèmes.

 

Conclusion

Le Canada n’a, pour ainsi dire, aucune emprise légale sur ses sociétés minières à l’étranger. Est-ce vraiment faute de ne pas pouvoir ou de ne pas vouloir? Car il ne semble pas exclu qu’une loi canadienne puisse être appliquée à ses ressortissants, en-dehors du territoire. La politique « volontaire » n’arrange certainement pas la situation des populations supportant les impacts de ces activités. Peut-on alors imaginer une forme de responsabilité du Canada pour les agissements de ses sociétés à l’étranger?


[1] Ressources naturelles Canada, « Actifs miniers canadiens »Bulletin d’information, janvier 2013.

[2] The Canadian Centre for the Study of Resource Conflict, Corporate Social Responsibility: Movements and Footprints of Canadian Mining and Exploration Firms in the Developing World, octobre2009, p. 7.

[3] Association canadienne contre l'impunité (ACCI)c. Anvil Mining Ltd., 2011 QCCS 1966.

[4] Anvil Mining Ltd.c. Association canadienne contre l'impunité, 2011 QCCA 1035.

[5] Association canadienne contre l’impunitéc. Anvil Mining Ltd, 2012 CSC 66221.

[6] Affaires étrangères et Commerce international Canada, Renforcer l’avantage canadien : Stratégie de responsabilité sociale des entreprises (RSE) pour les sociétés extractives canadiennes présentes à l’étranger, mars 2009.

[7] Bureau du Vérificateur général du Canada, « Législation fédérale régissant les sociétés minières canadiennes qui exercent des activités au Canada et à l’étranger », pétition n°304, 22 février 2011.


 

Author
Lynda Hubert Ta