Publié dans le Bulletin "profiteurs" mars 2013
La pétrolière canadienne Enbridge possède le plus grand réseau d’oléoduc au monde ; elle opère notamment l'oléoduc entre le Canada et les États-Unis. La compagnie pilote aussi le méga-projet de construction de l’oléoduc Northern Gateway de 1177 kilomètres en Colombie-Britannique, afin de transporter le pétrole des sables bitumineux albertains jusqu’à un port en eau profonde sur le Pacifique. Le Northern Gateway est un projet fortement contesté par les communautés autochtones de la région, le pipeline devant traverser leurs terres. De plus, Enbridge propose de renverser le flux de pétrole dans certains pipelines de l’est du pays afin d’exporter le pétrole provenant des sables bitumineux de l'ouest canadien vers la côte est américaine. En octobre 2012, l'entreprise a fait la demande auprès de l’Office National de l’Énergie (ONE) pour renverser le flux de pétrole du pipeline reliant Sarnia (Ontario) à Montréal ; Enbridge veut augmenter le volume de pétrole de ce pipeline à 300 000 barils par jour.
Depuis 1994, Enbridge est propriétaire de 25% des parts de l'oléoduc OCENSA (Oleoducto Central, South America), un des investissements canadiens les plus significatifs en Colombie. Long de 800 kilomètres, l'oléoduc OCENSA transporte 500 000 barils de pétrole par jour, pétrole exploité par la canadienne Talisman Energy. Talisman Energy est connue au Québec pour son implication dans l'exploitation des gaz de schiste.
Dès 1998, Amnistie internationale a exposé les liens entre l'oléoduc OCENSA et la violence politique en Colombie (bulletin d'Amnistie internationale, octobre 1998). En effet, pour protéger ses installations, Enbridge a embauché la société militaire britannique Defense Systems Colombia (DSC), laquelle fournissait de l’équipement militaire à la Brigade 14 de l’Armée colombienne, qui était alors sous enquête pour de multiples crimes (dont le massacre de 90 civils à Segovia en 1998) perpétrés en collaboration avec la structure paramilitaire.
De nos jours, l’oléoduc compte 17 bases militaires le long de son parcours et 1 400 soldats sont assignés à sa protection. Par ailleurs, outre la violence politique engendrée par la « sécurisation » de cet oléoduc, la construction même de cette infrastructure énergétique a détruit l’activité de subsistance d’au moins 350 paysan-ne-s, forcé-e-s d’abandonner leurs terres contaminées.
Paramilitarisme, narcotrafic et violences sexuelles
En tournée dans la région de Boyaca en mars 2013, le PASC a recueilli des témoignages de résident-e-s qui dénoncent les structures paramilitaires qui y sont très présentes depuis la construction de l'oléoduc ainsi que la hausse notable du narcotrafic et des «cocinas» depuis l'installation d'OCENSA. Les «cocinas» sont les laboratoires clandestins de transformation de la feuille de coca en cocaïne, pour être acheminée plus tard en Amérique du Nord par le Panama ou le Costa Rica. Or, dans cette région de la Colombie, il n'y a a peu près pas de culture de feuille de coca. Mais, depuis l'apparition de l'oléoduc et l'arrivée des paramilitaires, les «cocinas» se sont développées, le narcotrafic est très présent et les violences gratuites liées à ce trafic aussi.
Un autre exemple de la tolérance, -voire de la complicité- de ces compagnies canadiennes avec des agissements criminels sur le terrain a été démontré en octobre 2011, alors que s'ouvrait le procès d'un chef paramilitaire de la région, Hector Buitrago, pour l'enlèvement en 2002 d'un dirigeant syndical de la Union sindical obrera - USO, Gilberto Torres. Buitrago a déclaré que sa milice a reçu une commande d'OCENSA et d'Ecopetrol (société colombienne du secteur de l'énergie, anciennement publique et maintenant privée), également copropriétaire de l'oléoduc, pour l'enlèvement de Torres en raison de ses activités syndicales. Dans le cadre de ce procès, nous apprenons aussi qu'OCENSA a plus tard payé cette même milice afin d'assassiner ce dirigeant syndical (Fundación Comité de solidaridad con los presos políticos, 25 octobre 2011).
Par ailleurs, plusieurs femmes de la région notent une hausse importante des violences sexuelles et de la prostitution juvénile aux alentours de l'oléoduc. Selon un rapport de 2011 d'Amnistie internationale, tous les acteurs armés s'en sont pris à des femmes et des jeunes filles « dans le but d'en faire des esclaves sexuelles et de se venger de leurs adversaires. Ce recours à la violence sexuelle sème la terreur parmi certaines populations et force des familles entières à quitter leur foyer, permettant ainsi l'accaparement de certaines terres». Toujours selon Amnistie internationale, les personnes vivant dans des zones ayant une importance stratégique pour les parties en conflit ou présentant un intérêt dans le cadre de projets miniers, énergétiques ou agro-industriels multinationaux ou nationaux sont particulièrement exposées aux violations de leurs droits.
Malgré tout cela...
En 2012, Enbridge prévoyait des travaux d’agrandissement de l’oléoduc OCENSA ainsi que l’inauguration des travaux pour un nouvel oléoduc (OAP) destiné à acheminer le pétrole colombien vers le marché asiatique via la côte pacifique. Les pétrolières canadiennes ont aussi reçu des garanties de «sécurité» alléchantes. Lors d'une tournée au Canada en 2010, l'Agence nationale colombienne d'hydrocarbure promettait aux investisseurs canadiens de former un nouveau bataillon militaire pour protéger les compagnies étrangères lors des activités d'exploration. Les effectifs militaires colombiens protégeaient jusqu’ici les activités d’exploitation et non celles d’exploration. À quoi peut-on s'attendre avec cette augmentation de la militarisation des activités économiques en Colombie? Les contribuables colombiens se retrouvent donc à financer la protection des investissements étrangers afin qu'une poignée d'entreprises, dont plusieurs canadiennes, engrangent des profits faramineux sur le dos des populations locales.