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08/09/2013

A la suite de la répression des manifestations de paysans colombiens, cet éditorialiste a calculé que le coût d'un tir de gaz lacrymogène revenait à 17 euros. Le plus grand producteur de ce type de grenade est américain. Et, forcément, ses bénéfices augmentent par les temps qui courent...

Un policier tire une grenade lacrymogène lors des manifestations à Bogota, le 29 août.- AFP/Guillermo Legaria.
C'est devenu un lieu commun : on a tous à perdre avec les grèves. L'idée est aussi fausse que rebattue. Car, à chaque manifestation, il y en a qui s'en mettent plein les poches. Le secteur des "armes non létales" tire d'énormes profits de la répression des manifestations, en Colombie comme dans le reste du monde.

Par les temps qui courent, le gaz lacrymogène a le vent en poupe. Même si les Nations unies le qualifient d'arme chimique, de puissants intérêts ont permis à ce gaz d'être commercialisé sur l'ensemble de la planète en tant qu'"arme non létale".

Le plus grand producteur de gaz lacrymogène est Combined Systems. Cette société est établie à Jamestown, un pacifique village de moins de 700 habitants en Pennsylvanie.

Selon son site web, son métier consiste à "fabriquer des munitions tactiques et des dispositifs de contrôle des masses, destinés aux forces armées, à la police, aux autorités carcérales et aux agences de sécurité nationale du monde entier".

Cette société est une machine à produire de l'argent. Plus le monde va mal, mieux elle se porte. Une récente étude menée par Anna Feigenbaum, professeure à l'université de Bournemouth (Grande-Bretagne), prouve que pendant les périodes de crise économique les dépenses antiémeutes grimpent en flèche.

En Espagne, le budget antiémeutes est multiplié par dix-sept

Le journaliste Marcelo Justo a réalisé un reportage pour BBC Mundo [site web hispanophone de la BBC], qui montre notamment le cas de l'Espagne. Tandis que le gouvernement Rajoy a réduit le budget de 2013 dans presque tous les domaines, à commencer par la santé et l'éducation, celui du poste "antiémeutes" a été multiplié par 17 (!), passant de 173 000 à 3 millions d'euros

La Colombie est un très bon client de Combined Systems. Selon une publication de Source Watch, les principaux pays à se fournir auprès de ce fabricant de gaz lacrymogène sont par ordre d'importance : les Etats-Unis, Israël, l'Egypte, la Colombie et le Yémen.

En 2007, on a enregistré 800 manifestations en Colombie. Le 26 décembre de cette année, au beau milieu des fêtes de Noël et de nouvel an, le gouvernement d'alors a signé pour le compte de la police nationale un contrat avec les représentants locaux de Combined Systems d'une valeur de 2 262 936 dollars [soit environ 1,5 million d'euros].

Le contrat portait sur l'achat de lances-grenades et autres munitions antiémeutes. La signataire du contrat, en qualité de directrice administrative et financière de la police, était Luz Marina Bustos Castañeda, alors colonelle. Elle est aujourd'hui générale, et, sous sa signature, elle a revu et augmenté ce contrat à hauteur de plusieurs millions.

L'une de ces révisions permet de voir ce que coûte chaque tir antiémeutes au contribuable colombien. Pour chacune des grenades de fumée blanche, nous payons 43 880 pesos [17 euros]. Chaque cartouche de gaz nous coûte 27 183 pesos [plus de 10 euros].

Un autre contrat, cette fois passé avec le Fonds de roulement de la police (Forpo), indique que la Colombie a acheté à Combined Systems des fusils lance-grenades pour 242 604 960 pesos [ soit environ 94 000 euros].

Les principaux actionnaires de Combined Systems sont Point Lookout Capital Partners et The Carlyle Group. Le groupe Carlyle est un conglomérat aux multiples intérêts, qui vont du secteur bancaire international à l'agroalimentaire (avec Syangro Technologies), en passant par la production de lait en Inde (Tirumala Milk). Carlyle possède également l'agence Duff & Phelps, qui évalue la sécurité des investissements en Colombie et ailleurs.

Notre pays est magnanime avec les conglomérats qui exploitent nos ressources et nous vendent ce dont nous n'avons pas besoin dans le cadre du "généreux" TLC [traité de libre-échange Colombie/Etats-Unis]. Il est à la fois avare avec les paysans qui produisent des aliments, sévère avec ceux qui osent manifester et généreux avec les vendeurs d'instruments de répression.

Pour conclure, ces derniers raflent tout le fric et il ne nous reste que les yeux pour pleurer. Dans la fumée des lacrymos.

Author
Courrier international