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Éditorial

La criminalisation de la dissidence : nouvelle étape stratégique de la guerre sécuritaire

La stratégie de guerre sécuritaire menée par l’État colombien est entrée dans une nouvelle phase. Comme le rappelait le Padre Javier Giraldo, le Plan Colombie n’en est plus à l’étape du terrorisme massif où les massacres et les déplacements forcées ont permis de libérer les territoires stratégiques pour accueillir les investissements privés étrangers et installer les mégaprojets d’infrastructures inscrits dans les plans de développements continentaux (tel le Plan Puebla Panama Putumayo). Si les stratégies terroristes persistent et que les cas d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées sont toujours une triste réalité (de surcroît cet automne, alors que l’on assiste à une réaffirmation du contrôle territorial par les forces paramilitaires [1] ), l’usage de la force est combinée maintenant plus que jamais à un recours abusif aux tribunaux pour criminaliser la dissidence. Les ONG colombiennes de défense des droits humains parlent d’un phénomène de « judiciarisation de la critique » où l’espace de droit se réduit dangereusement au profit de la logique guerrière de l’État. Les arrestations massives, les détentions arbitraires et les montages judiciaires sont autant d’armes destinées à ostraciser les contestataires, à leur imposer une mort sociale. En outre, la quantité de processus judiciaires ouverts par l’État à l’encontre de paysan-nes, de syndicalistes ou de défenseur-es des droits humains accaparent les précieuses ressources des organisations sociales, réduisant ainsi leur capacité de mobilisation et d’action. Si la judiciarisation des opposant-es représente en Colombie l’arme d’un État en guerre contre sa propre population, la criminalisation de la dissidence est également une stratégie de contrôle social auquel recours l’État en tant de paix, à preuve sa popularité croissante au Canada !

Lorsque le masque de la démagogie guerrière se soulève apparaissent les prisons.

Ces tabous aux quatre murs

qui jonchent le territoire de la Nation

comme autant de pendus aux abords de la ville.

Parmi les 68 000 détenu-es que compte la Colombie, 7 200 s’identifient en tant que « prisonnier/ère politique ». Parmi ceux-ci, on peut distinguer les prisonnier/ères de guerre qui revendiquent leur appartenance aux guérilla et la grande majorité, soit plus de 60%, des civils, pour la plupart des paysans qui ont le malheur de cultiver une terre située dans une zone de conflit et des syndicalistes, mais également des étudiant-es et des militant-es sociaux. Autre fait singulier, parmi les 68 000 détenu-es, seulement 22 000 ont été condamnées. En d’autres mots, les deux tiers des prisonniers colombiens n’ont pas eu droit à un procès, ils sont sous enquêtes et peuvent attendre jusqu’à 36 mois avant de se présenter devant un juge. Ce dernier fait illustre bien l’état de non droit qui règne en prison, alors que les détenu-es sont soumis à leur geôlier dans l’ombre de la société.

 

Notes

[1] Les menaces ouvertes, les barrages routiers ainsi que le nombre de victimes revendiquées par les groupes paramilitaires se sont multipliés cet automne, consultez à ce sujet le site de la Red de Hermandad

 

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