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16/02/2009
Des voix s'unissent pour réfléchir sur l'avenir du territoire… Publié dans la Piedra No 5,

Le gouvernement colombien a envoyé plus de 27 000 soldats supplémentaires dans la région du Catatumbo depuis 2006, sous prétexte d'une lutte menée contre les acteurs insurgés et la destruction des cultures de coca. De son côté, le Comité d'intégration sociale du Catatumbo (CISCA), une organisation régionale formée en 2004, regroupant les paysan-ne-s de la région, des coopératives, des comités d’organisation communautaire (juntas de Acción Comunal), ainsi que des groupes de femmes et de déplacé-e-s, redoublait d'efforts dans la dernière année dans le but de construire une réflexion collective sur la gestion du territoire et de s'organiser afin de le protéger. La région du Catatumbo se situe au nord du département de Norte de Santander, près de la frontière avec le Venezuela. Cette région reculée a connu maintes vagues de violences et violations de droits humains, ce qui perdure toujours. Depuis 2006, environ 2000 personnes du Catatumbo se sont enregistrées auprès des autorités en tant que déplacé-e-s forcé-e-s, ce qui ne représente pourtant que la partie émergée de l'iceberg. Rappelons que ce territoire abrite de nombreuses richesses naturelles comme l'or, le charbon, l'uranium, le pétrole, des trésors convoitées par les entreprises nationales et transnationales, dont La Solana et La Kappa Limitada, deux entreprises canadiennes, en plus de ses terres fertiles, où la palme africaine est implantée sous forme de monoculture, ainsi que ses nombreuses rivières présentement à l’étude en vue de développement de projets hydroélectriques. La pression est grande pour les communautés qui sont confrontées quotidiennement à des massacres sélectifs et des mesures de persuasions comme des promesses monétaires. Face à la situation, certains paysans ont troqué leurs machettes pour le statut d'ouvriers; d'autres ont poursuivi les labeurs du travail agricole traditionnel (yucca, plantain, café, cacao, avocat,...) en s'organisant souvent sous forme de coopératives; plusieurs pour leur part ont intégré la culture de coca pour usage illicite dans leur économie. Faisant aujourd'hui partie du territoire, la coca se présente sous diverses étendues, de parcelles familiales à de grandes monocultures. Le CISCA a réuni ses membres au cours de l'année afin de réfléchir collectivement sur deux réalités actuelles auxquelles ils et elles sont confronté-e-s, soit l'expansion de l'exploitation du charbon et les cultures d'usage illicite dans le territoire. Leurs voix se sont unies pour évaluer les impacts et tenter d'en tirer des conclusions à l'échelle régionale. En septembre 2007, les paysan-ne-s présent-e-s lors de la rencontre ont exclamé à l'unisson leur opposition à l'exploitation minière de charbon dans le territoire du Catatumbo. Dans leur communiqué, elles et ils affirment que : "Ces projets économiques auraient des dommages irréparables pour nous et nous ne gagnerions rien comme peuple. Comme communauté, il nous resterait la détérioration sociale, la destruction de toute une vie d'organisation, les menaces, les déplacements forcés, l'abandon des campagnes; cela ne ferait que diminuer notre qualité de vie, nous serions davantage dépendant de l'économie, un plus grand esclavage. À la fin, il nous resterait l'exclusion sociale et un énorme trou comme un grand caveau". Au niveau environnemental, elles et ils évaluent que l'ouverture de ces mines causeraient entre autre la déforestation de forêt centenaire, la pollution de l'air et de l'eau par les déchets miniers rejetés, un changement du climat, une acidification des sols, nuisant à la croissance des cultures agricoles, sans oublier les maladies qui affecteraient les plantes et les humain-e-s cohabitants sur un territoire dévasté. Au niveau culturel, c'est une perte des valeurs et de l’identité paysanne qui est en jeu. De paysans à mineurs, c'est un mode de vie complet qui serait chambardé. À la fin du mois de mai 2008, plus de 600 personnes se rassemblaient à nouveau, cette fois pour discuter des cultures de coca à usage illicite dans le territoire, un premier dialogue entre cultivateurs et non-cultivateurs, afin d'amorcer une réflexion collective autour de ce thème. Les fumigations entraînaient une nécessité de la part du CISCA d'enrichir le développement d'une vision intégrale des problématiques de la région. Afin d'examiner la question des cultures de coca, les paysan-ne-s ont cru bon se remémorer les facteurs expliquant son arrivée sur le territoire. La coca n'est pas apparue d'un tour de magie au Catatumbo, alors qu'autrefois les produits de subsistance étaient cultivés, la situation de pauvreté, ainsi que le rôle de l'État colombien sont des facteurs à mettre en cause face à son étendue actuelle. Traditionnellement, les paysan-ne-s possédaient quelques plants de coca réservés à des usages médicinaux pour leur famille. Depuis toujours, le Catatumbo était considéré comme une région éloignée, difficile d'accès et laissée à elle-même, les paysan-ne-s ont du s'organiser afin de construire leur économie, leurs infrastructures et leurs services de santé et d'éducation. Dans les années 1980, on commence à utiliser cette plante pour le marché du narcotrafic, une nouvelle vague de colonisation s'effectue dans le territoire afin d'en faire la culture. Les années 1990 sont marquées par des crises économiques au niveau de l'économie paysanne, le gouvernement demeure absent, aucune aide n'est proposée. De son côté, la FARC installe sa présence dans le territoire, promouvant elle aussi les cultures d'usage illicite comme source de financement. Avec l'arrivée massive des paramilitaires qui sèment la violence sur leur passage et provoquent des déplacements forcés, ainsi qu'une destruction totale de tous les efforts de construction des communautés, le narcotrafic se réorganise: la promotion de la culture illicite de coca est effectuée à grande échelle et prend de l'ampleur. Le prix offert pour la coca est de 18 à 25 000 pesos par jour, face à 10 000 pesos par jour pour la yucca, sa croissance demande aussi moins de temps que pour les cultures traditionnelles. Aujourd'hui, le gouvernement et les multinationales intéressées par les ressources naturelles trouvent l'excuse idéale dans la lutte menée contre la coca afin de justifier la militarisation du territoire, la fumigation et les déplacements de population occasionnés par ce contexte. Même son de cloche face à l’examen des impacts directs de la culture de coca à usage illicite sur le territoire et la population du Catatumbo. L'économie de la coca a généré une grande décomposition du tissu social, les jeunes quittent ou désertent l'école afin d'aller travailler dans les champs auprès de leurs parents. Beaucoup de personnes refusent aujourd'hui de s'impliquer dans les tâches collectives, préférant utiliser leur temps pour s'enrichir individuellement. Cela affecte aussi l'organisation interne, source d'appartenance et d'implication au sein de sa propre communauté, les espaces de discussions et de partage sont de moins en moins fréquentés. En plus de la violence générée par les intérêts économiques présents sur le territoire, la culture de la coca engendre des intérêts particuliers créant une division interne, source de nombreux conflits au cœur des communautés. L'agriculture traditionnelle tend elle aussi à disparaître, certains paysans privilégient la coca aux produits d'alimentation de base, ce qui engendre une perte d'autonomie alimentaire et une dépendance au marché. La culture tend à s'éteindre tranquillement avec le changement de mode de vie, la façon de cultiver, de s'organiser, de danser, ce qui rassemblait les gens autour d'une identité partagée. L'environnement subi aussi les impacts de ces monocultures: afin de semer davantage, des forêts sont détruites et les engrais chimiques déversés dans les rivières amènent la contamination. Face à cette prise de conscience, les paysan-ne-s se sont attardé-e-s sur des alternatives concrètes sur lesquelles travailler afin de lutter contre la détérioration du tissu social et territorial. À la lumière de ces informations, les membres du CISCA rassemblés lors de l’évènement en sont arrivés à certaines recommandations: «Nous proposons de geler l'expansion de la production de coca et de favoriser les cultures de subsistance afin d'éviter le piège de la dépendance. Nous n'acceptons pas que la présence de coca dans la région serve de prétexte à la violation de droits humains. Nous sommes contre la privatisation et l'exploitation irrationnelle de nos ressources naturelles qui génèrent une croissance économique pour une minorité et pauvreté, abandon et impacts irréversibles au niveau environnemental et social pour la majorité. De plus, nous contestons les fumigations de coca, car il s'agit de stratégie provocant des déplacements forcés, de la pauvreté et une destruction environnementale. La défense du territoire signifie aussi la reconnaissance de sa diversité culturelle, ethnique, ainsi le gouvernement ne peut caractériser le Catatumbo comme zone cocaleros. Finalement, il est nécessaire de poursuivre la réflexion et d'ouvrir des espaces pour fortifier le processus organisationnel.» La déclaration finale de la rencontre se termine par l'affirmation de la nécessité de protéger les ressources naturelles et de renforcer les espaces démocratiques permettant la participation des communautés dans les prises de décision qui les affectent. Tout le contraire des politique anti-narcotrafic du gouvernement colombien qui exclue systématiquement la population et conçoit des plans de développement reliés aux intérêts des États-unis, ceux qui ont réellement définie la politique de lutte contre la coca en Colombie. Les espaces de constructions collectives du CISCA servent à promouvoir la démocratie directe et la réflexion au cœur de la communauté du Catatumbo. En se rassemblant, les paysan-ne-s reconnaissent la richesse de leur façon de vivre, des valeurs communes qui les rassemblent et de l’importance de leur territoire qu’elles et ils doivent protéger. Une force commune surgit afin de défendre ce qu'ils et elles ont construit, et en se maintenant uni-e-s, ils et elles prennent position face aux situations à venir. Une grande leçon de vie pour nous rappeler que c’est à la population de défendre le bien commun, l'égoïsme et l’absence d’implication collective sont sources de division, un flou qui profite aux entreprises qui y trouvent leur intérêt, l’enrichissement. Avec davantage d'informations, de conscientisation dans les communautés face à nos droits, nous savons pourquoi il faut sortir de l'ombre et exiger... C'est à nous de construire notre futur, nous devons redoubler d'efforts afin de nous organiser...
Auteur.trice
PASC