Écouter la version audio :
ALBERTO CARRASQUILLA a été ministre des Finances sous la présidence d’Uribe (2003-2007) et sous la présidence d’Ivan Duque de 2018 à mai 2021. Cet ex-ministre des Finances a privatisé le service d’approvisionnement d’eau, vidé les fonds des municipalités déjà pauvres au profit de ses propres entreprises privées. En avril 2021, il a présenté un projet de réforme fiscale obscène, contesté de toutes parts. À cause de tout cela, l’État colombien a décidé de le récompenser en proposant sa candidature à la présidence de la Banque de développement de l’Amérique latine…
Le 15 avril 2021, Alberto Carrasquilla, alors ministre des Finances de la Colombie, a proposé un projet de réforme fiscale qui a mis le feu aux poudres en provoquant le plus gros mouvement de contestation dans l’histoire récente du pays. À cause de ce projet de réforme, le 28 avril une grève générale nationale a été déclenchée en Colombie. Sous la pression des mobilisations, le ministre a dû démissionner et le gouvernement colombien a été forcé de retirer son projet de réforme fiscale.
Mais, une semaine avant de présenter le projet de réforme fiscale, le gouvernement colombien avait proposé la candidature d’Alberto Carrasquilla au poste de président de la Banque de développement de l’Amérique latine. Pour justifier la candidature, le gouvernement colombien a dit que le ministre Alberto Carrasquilla avait fait preuve, deux fois plutôt qu’une, de conduite exemplaire dans sa gestion de l’économie. Qui a signé la lettre endossant la candidature de Carrasquilla à la Banque de développement de l’Amérique latine? Son remplaçant! Le tout nouveau ministre des Finances, José Manuel Restrepo, qui était ministre du Commerce jusqu’au 3 mai 2021.
Quelles sont les « preuves de conduite exemplaire » de Carrasquilla dont parle le gouvernement colombien?
La première réfère au premier mandat d’Alberto Carrasquilla comme ministre des Finances sous le gouvernement d’Alvaro Uribe Vélez de 2003 à 2007. Comme le gouvernement de conduite exemplaire, il convient de rappeler qu’à cette époque, Carrasquilla a utilisé son passage par le ministère pour créer les « titres de l’eau » (bonos del aqua) aussi connus comme titres Carrasquilla qui visaient à privatiser les services d’eaux. Les titres, qui ont été utilisés entre 2008 et 2011, permettaient aux municipalités de s’endetter sur une période de 19 ans auprès d’entreprises privées afin d’assurer la prestation des services d’approvisionnement et d’assainissement des eaux. Aucune étude de viabilité n’était nécessaire, les taux d’intérêt étaient usuriers et tout le processus était opaque. Lorsque les municipalités endettées n’ont plus été capables de continuer à payer, le gouvernement est venu à la rescousse pour payer la dette aux entreprises (pas besoin de grève nationale pour aider les entreprises à ne pas perdre leur argent!). Le pire c’est que dans 73 des 108 municipalités « bénéficiaires », l’endettement contracté par ces titres n’a pas servi à améliorer la prestation de services, mais a nourri la corruption.
Bref, les titres ont servi de mécanisme pour vider les fonds publics des municipalités. Mais ce n’est pas tout. Les titres ont permis à Alberto Carrasquilla de s’enrichir personnellement. Il a littéralement bénéficié de la situation de pauvreté des municipalités, du manque de surveillance du gouvernement et du processus de privatisation et corruption qu’il a lui-même dessiné. Les deux entreprises qui ont capté les fonds des municipalités et de l’État sont Alianza Fiduciaria, dont M. Carrasquilla a été conseiller, et Konfigura Capital, qu’il a fondé. La société Konfigura, à l’aide de manœuvres fiscales liées au « bonos del agua », est passée en seulement deux ans, d’un patrimoine financier de 5 millions de pesos en 2008, à un patrimoine total avoisinant les 1 352 millions de pesos en 2010. Au total, la société Konfigura a enregistré des revenus de 29 300 millions de pesos, ainsi que des bénéfices de 3 300 millions de pesos, durant l’existence des “bonos del agua”
La deuxième « preuve de conduite exemplaire » d'Alberto Carrasquilla à laquelle réfère le gouvernement colombien est en lien avec son plus récent mandat (2018-2021) comme ministre des Finances du gouvernement de Ivan Duque, mandat qui s’est terminé avec le projet de réforme fiscale qui a déclenché les mobilisations qui durent déjà deux semaines.