La grève du « Sommet Agraire, Paysans, Ethnique et Populaire » en Colombie rentre dans sa deuxième semaine. La réponse répressive du gouvernement crée un dialogue de sourds. L’écart est grand entre les conceptions de la paix du président Santos et celle du mouvement social.
La première impression est étrange. Une grève nationale avec un autochtone assassiné dans la première journée. Aujourd'hui, ils sont déjà trois. Les « tables régionales » de conversation entre les forces de sécurité, le gouvernement et les dirigeants des mouvements sociaux qui agissent dans la Minga*, pourraient être interprétées comme une recherche d'un symbole de paix, mais non, c'était seulement une hypocrisie gouvernementale.
Les maires de plusieurs départements, haranguaient devant Guillermo Rivera, le vice-ministre de l'intérieur de la Colombie, pendant les dialogues régionaux en Arauca. « Notre région est abandonnée et seul le mouvement social avec les grèves a obtenu des changements ». Cet argument ne vient pas des leaders des communautés paysannes ni des autochtones ou des afro-descendants, mais des fonctionnaires locaux, dont certains sont encore de nos jours membres du parti politique de l’ineffable Alvaro Uribe
La suite est bizarre, car la déclaration des forces de sécurité de la zone d'Arauca, a pourtant ratifié des garanties accordées à la manifestation sociale. Finalement, le vice-ministre qui se porte lui-même garant affirme que la paix en Colombie, n'est pas possible sans dialoguer avec le peuple.
Cependant, la réaction du président Juan Manuel Santos, qui cherche à rentrer dans l’histoire comme un artisan de la paix, contraste avec la façon violente avec laquelle le gouvernement réagit à la manifestation sociale qui a commencé le lundi 30 mai avec plus de cent barricades dans tout le pays.
Trois autochtones assassinés, 152 blessés, 145 détenus, des centaines d'hommes et de femmes enlevés illégalement : Ce ne sont que des chiffres pour une semaine de grève. La violence de l'Escadron Anti-émeute (ESMAD) et de l'Armée Nationale est une réponse claire aux tentatives de négociations de paix que cherche la Colombie du XXI siècle.
DE QUOI NOUS PARLONS QUAND IL S'AGIT DE LA PAIX
Le gouvernement de Santos a été clair : les dialogues à la Havane, ne prendront pas en compte un débat sur le modèle économique ou les politiques publiques nécessaires dans le pays; et il n'y aura pas non plus de débat avec l'Armée de Libération Nationale (Ejército de Liberacion Nacional ELN).
Santos a aussi été clair avec sa politique en relation avec la manifestation sociale : il n'y aura pas de négociation avec le Sommet Agraire,vPaysans, Ethnique et Populaire tant que les barricades continuent. Le Président continue à parler de paix, mais trois ans passent sans mener à terme ses accords avec les paysans. Il reconnaît les attentes de la Minga National, mais elle est réprimée brutalement, et certains ministres essayent de la fragmenter avec de fausses allégations d'infiltration par l'ELN dans une tentative de délégitimer la grève.
En vérité, il s'agit de processus de paix en Colombie. L'ex-président Alvaro Uribe, a proposé, avec la même terminologie qu'utilisaient les paramilitaires des Autodéfenses Unies de Colombie (AUC), une « résistance civique ». Sa « proposition pour la paix » cherche, avec un référendum, à arrêter les négociations ouvertes avec les insurgés. Ces négociations sont organisées à La Havane et en Équateur en ce moment. Tout ça, pour discréditer le gouvernement de Santos, qui est selon lui « amoureux de la guérilla et non de son peuple colombien ».
D'un côté, Uribe désapprouve la sortie politique et négociée du conflit et préfère une intervention militaire pour soumettre le peuple, comme il l'a déjà fait pendant sa période de présidence. Cette façon de faire a déjà causé des effets dévastateurs pour les Colombiens. Pour sa part, l'actuel président Santos, avec ses négociations de paix, essaye d'offrir un meilleur scénario économique aux grandes entreprises transnationales qui attendent pour investir en Colombie, avec un modèle extractif, dans le secteur minier, énergétique et agro-industriel, car la Colombie est riche en métaux, minéraux et pétrole.
De son côté, le mouvement social colombien, demande à être reconnu politiquement et à avoir une juste participation dans les dialogues pour la paix dans son pays. Dans cet esprit, un débat est nécessaire sur le modèle économique et politique avec des véritables transformations qui prennent en compte les accords convenus. Donc, nous comprenons l'une des principales questions qui se pose dans la grève générale et paysanne.
Dans ce contexte particulier pour la Colombie, des millions d’autochtones, d'afro-descendants et de paysans se trouvent aujourd'hui dans la rue. Des enseignants et des camionneurs, sont aussi avec eux. Les dettes sociales dues au peuple colombien, sont infinies : le pillage des biens communs l’absence d'éducation et de santé, l'absence de l'Etat, dont la seule présence est militaire. Mais il y a un savoir populaire qui appartient à la Colombie et persiste. Il n’y a jamais eu de transformations sans bataille. C'est pour ça, que devant la répression, le peuple crie uni : « le peuple ne renonce jamais, carajo »
*Minga : faire ensemble, tradition latino-américaine de travail collectif en vue d’un objectif commun.