Aller au contenu principal

« Questionner la prison est nécessaire pour en finir avec sa normalisation. C’est peut-être le moyen de nous rencontrer, nous, centaines et centaines qui ne croyons pas que ce soit la seule façon d'exister ».

J’unis ma voix à Julian Gil et à ces centaines de personnes qui dénoncent le système carcéral, qui le critiquent, de l’intérieur, de l’extérieur.

Questionnons, donc, la prison.

Actuellement aux États-Unis, plus de deux millions de personnes sont emprisonnées : c’est le pays au monde avec le plus haut taux d’incarcération.
2.145.100 d’individus privés de leur liberté, concentrés dans des établissements privatisés, puissants lobbyistes auprès du gouvernement. De véritables entreprises qui s’enrichissent de la répression.
Et 6.000.000 de personnes sous le contrôle du système judiciaire pénal états-uniens.

Au Canada, on compte 38 787 personnes incarcérées, soit 14 129 personnes incarcérées dans les établissements fédéraux et 24 658 personnes dans les établissements provinciaux.

Comment en est-on arrivé à ce point où nos sociétés sont absolument dévorées par un système punitif, guidées par le principe de vengeance collective où on éduque par le repentir? Ne vous méprenez pas, je pense que le besoin de vengeance est un sentiment légitime et valide lorsqu’on est victime d’un crime. Mais l’enjeu est de réfléchir à ce qu’on peut construire à partir de ce sentiment pour ne pas rester enfermer dans cette logique. L’incarcération n’est pas la solution aux défis que posent nos sociétés. Et bien souvent, les stratégies alternatives à l’incarcération imposées par les gouvernements ne font que renforcer le contrôle et la surveillance sur les individus à l’extérieur des murs des prisons pour garantir le maintien de l’ordre.

Plus près de nous, à Laval, se construit en ce moment même un deuxième centre de détention pour immigrant.es. Une toute nouvelle prison bien de chez nous, une prison écoresponsable, nous dit-on, comme si cela devait nous rassurer. Greenwashing, quand tu nous tiens… La prison, qu’elle soit de marbre et d’or, ne restera quand même toujours qu’un lieu de misère et de violence. N’importe quelle personne dans un processus de reconnaissance de statut peut s’y retrouver et être menacé de déportation, les arrestations étant faites de manière totalement arbitraire. Pensons à cette histoire en 2012 où une femme colombienne mariée et mère de quatre enfants (deux étant nées au Canada et deux aux États-Unis) est interdite de territoire, alors que son mari et ses deux filles ainées ont obtenus le droit d’asile. Cette femme est interdite de territoire au Canada pour un vol qu’elle a commis aux États-Unis il y plusieurs années, et son mari ne peut rentrer en Colombie car il a peur de se faire tuer par les FARC qui l’ont déjà enlevé lorsqu’il était revenu au pays la dernière fois. Alors qu’elle s’était construite une vie ici, elle a dû tout quitter et retourner en Colombie. Si non, elle risquait de se trouver enfermer dans cette prison de Laval.

Le mot est important. Prison. Parce que tous les déplacements des personnes à l’intérieur sont faits menottes aux poignets. Les cellulaires sont confisqués, de toute façon, il n’y a pas de connexion wifi dans cette prison à Laval. Les familles sont séparées, les enfants restent avec leur mère et elles subissent une grande pression de la DPJ et des agent.es frontalier.ères pour savoir quoi faire avec leurs enfants. Tous les comportements sont notés au dossier, contrôle permanent sur les existences de ces gens qui, rappelons-le, n’ont pas commis de crime. Une menace constante d’être transféré dans des prisons provinciale ou fédérale (d’ailleurs, le tiers des migrant.es détenu.es se retrouvent dans des prisons provinciales ou fédérales). Plus, la “détention administrative” au Canada n’est soumise à aucune limite de temps. J’ai assisté à une discussion sur les luttes anticarcérales menées par des femmes. Une femme parmi nous raconte qu’elle a elle-même été déportée. Lors de son départ, des policiers l’ont escorté jusqu’à l’avion, la confiant ensuite à une agente de bord qui restera avec elle tout le trajet. Elle nous dit : C’était comme si j’étais une criminelle. L’humiliation. Retenez bien cela. Le discours qui renforce la criminalisation de la migration sous prétexte d’une plus grande sécurité (mais pour qui?) est mensonger. Le racisme et le colonialisme en sont ses racines. Ce système augmente l’exploitation et accroit la pauvreté, en plus d’aggraver les contextes de violences physique et psychologique.

158 nouvelles places dans cette prison de Laval.
Le Service de police de la ville de Montréal (SPVM) est le service de police canadien qui fait le plus de transfert à l’agence des services frontaliers.
Montréal ville sanctuaire

Ces femmes, hommes, enfants qu’on enferme fuient des situations de violence et de répression dans lesquelles le Canada n’est pas neutre. On le sait, les projets extractifs de minières canadiennes portent en partie la responsabilité des conflits armés en Afrique et en Amérique latine. La misère humaine est le revers de l’impérialisme.

***

L’autrice du livre Pour elles toutes, femmes contre la prison, Gwenola Ricordeau, a partagé un moment qu’elle a vécu en questionnant un homme sur le souvenir de la première visite qu’il a reçu en prison. C’était une visite de sa mère.
Sa mère : L’homme que tu as tué avait une mère.
Il répond : Mais toi aussi tu as perdu un fils.
Je pense qu’en elle-même, cette histoire contient toute la complexité et le scandale de l’incarcération.

 

Pour nourrir la réflexion :
https://mtlcontreinfo.org/a-propos-du-centre-de-detention-de-limmigration-de-laval/
https://www.solidarityacrossborders.org/fr/a-propos/revendications/no-to-detentions
https://www.ababord.org/Pourquoi-abolir-les-prisons

https://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/503523/un-nouvea…

Stanley, Eric A., et al. "Queering Prison Abolition, Now?" American Quarterly, vol. 64 no. 1, 2012, p. 115-127. Project MUSE

*Je voudrais remercier les femmes présentes à la discussion sur les luttes anticarcérales qui a eu lieu au Centre des femmes de Verdun. Elles ont grandement enrichi cette réflexion!