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01/10/2021

La crise de la pomme de terre, qui a récemment occupé l'attention de l'opinion publique il y a quelques mois n'est pas un cas isolé mais le tout dernier résultat de la crise étrangle la campagne colombienne depuis plusieurs décennies et qui, comme beaucoup d'autres crises que vit le pays, ont été mises en évidence et aggravée par la pandémie. 

La crise qui, pendant un temps, se limitait aux nécessités de l'accès à la terre, a vu peu à peu s'ajouter d'autres revendications, au fur et à mesure que la vision des problèmes agricoles et ruraux se développait ; mais plus encore, la crise a refait surface quand la réalité s'est mise à écraser avec plus de force les communautés rurales. 

Cependant, malgré un discours institutionnel qui valorisait le travail paysan et son importance pour la production alimentaire durant la crise sanitaire, pendant que ce secteur, en particulier, n'avait jamais cessé de garantir l'alimentation du pays par son travail, les communautés paysannes ont dû continuer de produire à perte, à tel point que beaucoup préféraient ne pas récolter leur production ou décidaient de l'offrir, puisque, de toute manière, ils perdaient beaucoup en regard de ce qu'ils investissaient. 

Malgré cette réalité, l'Etat, selon ses vieilles habitudes historiques, n'a absolument rien fait pour régler le problème. Au contraire, ses actions l'ont aggravé. Il suffit pour s'en convaincre de lire le "Bulletin sur les conflits territoriaux de Cedins" sur les décisions du gouvernement Duque dans le cadre de l'Etat d'Urgence Economique, Social et Ecologique, déclaré pour faire face à la pandémie, et les attributions octroyées, entre lesquelles l'autorisation aux importations sans taxes douanières de maïs, soja et sorgho.

Malgré son caractère déplorable, ce n'est pas une nouveauté que ce genre de situation se produise si on considère le nombre important de TIC qui sont déjà en vigueur dans le pays. Selon le Ministère du Commerce, la Colombie a signé 16 traités de libre commerce avec des pays de différentes régions du monde (voir tableau 1), ce qui ne représente pas seulement un déséquilibre pour l'économie nationale mais aussi un coup de poignard mortel pour le monde rural. 

    Tableau 1 : pays avec lesquels la Colombie a un TLC en vigueur

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Compte tenu de la grande quantité de Traités de libre commerce signés par le pays et de notre espace restreint pour cette analyse, on se limitera ici à la présentation de quelques exemples qui montreront les tendance anti-paysannes qui se manifestent en Colombie : 

Union Européenne : en matière d'importations alimentaires provenant des pays européens, prédominent les jambons, le blé, l'orge et les produits lactés (Legiscomex, s.f). Concernant ces derniers, le pays a octroyé à l'Union Européenne le bénéfice d'entrée libre de droits de douane pour 6800 tonnes de lait en poudre (Contexte de l'Elevage, 2020)

Un point à souligner est l'importante quantité d'argent qu'a représenté l'importation d'intrants chimiques pour la production et la protection de cultures alimentaires. Selon le Mincit (s.f), de 2017 à 2019, le total importé a été de 286.465 USD$, ce qui, au cours du change actuel, représenterait à peu près 1.055.000.000. pesos colombiens. 

Par ailleurs, les producteurs agricoles européens ont reçu cette année 40.000 millions d'Euros en subventions (El Cronista, 2020), ce qui n'a rien de nouveau, vu que, d'après l'OCDE, ces subventions atteignent 20% des revenus de l'Union Européenne (Clarín, 2019).

Etats Unis : la Colombie est le premier destinataire des importations venues des Etats Unis en Amérique Latine. A cet égard, la demande de produits transformés et d'aliments reste élevée et stable ces dernières années. 

Histogramme 1 : Importations des Etats Unis (en USD$)


En bas → :    Blé et seigle/froment  - Fève de soja - Maïs - viande de porc - Riz
Sources : données du Mincit 2021

A ce qui précède, il faut ajouter que pour l'année en cours, les Etats Unis se sont vus octroyer la faveur de faire entre dans le pays 11.790 tonnes de lait en poudre libres de douane (Ibidem)

Il est donc évident qu'il y a une tendance à importer massivement de grandes quantités d'aliments, mais toute analyse doit prendre en compte que le gouvernement fédéral américain attribue à chaque agriculteur environ 16.500 USD$ annuels de subventions (El Mundo 2020), ce qui fait que chaque produit qui arrive de ce pays aura un prix inférieur à celui produit ici. 

Chili :  la Colombie a aussi signé, avec d'autres pays de la région, des accords commerciaux qui ont mené à la ruine des zones rurales. C'est le cas du Chili qui a envoyé à la Colombie des fruits, des céréales et du poisson (voir histogramme 2)

Histogramme 2 : Importations agricoles du Chili (en USD$)


... ... ... ... ... ... ...
En bas → :    Céréales  - Pommes, poires et coing - Raisin frais ou sec - Filets et autres préparation de poisson - Poisson congelé sauf filet
Sources : données du Mincit 2021

Comme le montre le tableau ci-dessus, tous les aliments importés du Chili peuvent être produits dans le pays, ce qui est une démonstration de plus du total désintérêt -on pourrait même dire du mépris- dont fait preuve la caste dominante pour le monde paysan et le producteur agricole national. 

Un bon résumé de ce qui a été dit jusqu'ici est que "le secteur d'agro-production d'aliments et de boissons a contribué par une augmentation de 3,4 % aux exportations et par une chute de 1,3 %  aux importations. Parmi ces dernières, le sous-groupe "légumes et fruits" a augmenté de 2,3% sur la valeur importée en 2019" (Gaitán, A., Vanegas, O., 2020).

De telle sorte que les importations agricoles sont passées de 8.9 millions de tonnes en 2009 à 14.2 millions en 2019 (Espinosa, A., 2020).

Ce dernier point non seulement se traduit par la crise paysanne déjà mentionnée, mais augmente le déficit de la balance commerciale agricole qui est passé de -323 millions de dollars en 2012 à -1022 millions en 2014 (OXFAM, 2015), de telle sorte qu'il ne se contente pas de détruire l'économie locale des communautés paysannes et leurs modes de subsistance, mais entraîne le pays vers un profond déséquilibre des finances nationales qui, tôt ou tard, finira par être reporté sur les classes populaires et moyennes à travers de nouveaux et plus lourds impôts. 

Il est fondamental de comprendre que tout ceci se fonde sur trois éléments discursifs et pratiques qui ont relégué la paysannerie à ses conditions sociales et matérielles mais qui ont, dans le même temps, été le levier par lequel s'est orchestrée et cimentée la conception et la politique du secteur rural : 

Sans aucun doute, le premier est la sécurité alimentaire. Cette conception a conduit l'Etat à chercher à garantir l'accès aux aliments sans que leur provenance importe, ni leur mode de production ou leur coût social et environnemental. A partir de quoi on a opté pour leur importation massive ; de telle manière que non seulement cela ruine la paysannerie nationale mais aussi que cela crée une énorme et très dangereuse dépendance à l'étranger. 

Ce point-là permet de parler du deuxième. Bien que ce ne soit ni un secret ni une grande découverte, tous les traités de libre commerce sont conçus par et pour les entreprises et leurs intérêts privés, car elles visent à concentrer le plus grand pouvoir économique au détriment des  classes défavorisées, en affectant les communautés urbaines et rurales et donc leurs projets de vie. 

Finalement, la libération du marché et la signature de TLC's qui en découle, ont approfondi et étendu la logique compétitive, de sorte qu'on prétende maximiser les profits à partir de l'augmentation de la productivité sans assumer les coûts sociaux et écologiques de la production et en diminuant le coût du travail, ce qui mène directement à la précarisation de la force de travail de la campagne et de l'industrie alimentaire. 

Sur la base de ce qui précède, les revendications historique du monde paysan, comme l'accès  à la terre, la diminution et l'élimination de la concentration de sa propriété, resteront d'actualité, mais se retrouvent impuissantes devant l'extrême complexité de la situation que vit le monde rural. 

L'impossibilité de commercialiser le produit de son travail vu le très mauvais état de l'infrastructure tertiaire, quand elle existe, a rendu encore plus extrêmes les difficultés économiques que doivent affronter les familles paysannes. A ce propos, on ne peut pas ne pas mentionner le rôle déterminant que jouent les intermédiaires en captant une grande part des ressources des familles paysannes qui produisent les aliments, et qui, en plus de se les approprier, imposent leurs prix à ceux qui les vendent, au mépris du travail de ceux qui produisent. L'intervention d'intermédiaires dans le commerce des produits paysans est un élément clef au service des monopoles alimentaires nationaux. 

Un autre élément qui a mené le monde rural à son état actuel est le changement climatique. Non seulement ses répercussions ont perturbé les époques de semailles, mais il a provoqué inondations, glissements de terrain et phénomènes climatiques de plus en plus extrêmes et qui causent de plus en plus de ravages dans le secteur rural.  

Par-dessus le marché, le secteur rural n'est pas étranger à la montée du chômage dans le pays, car il a perdu près de trois-cent-mille emplois. Malgré cela, l'Etat n'a pas cherché à créer des emplois mais a stimulé la croissance de l'agro-négoce qui repose beaucoup sur le capital et par conséquent génère peu d'emploi ; parallèlement, il a renforcé le secteur financier en utilisant les banques comme intermédiaires pour l'attribution de prêts qui, à long terme, se transforment en un problème de plus pour ceux qui y accèdent, faute de conditions pour pouvoir les rembourser. 

Le monde rural et la production alimentaire se transforment de plus en plus en un secteur fondamental pour la souveraineté du pays et la recherche d'une vie plus digne pour ses habitants, mais il paraît évident les classes dominantes ne trouvent pas le moindre intérêt à renforcer les capacités productives du pays et des communautés paysannes, leur action va dans le sens contraire. Par conséquent, il reste à appeler à la solidarité pour que les activités agricoles soient valorisées et soutenues, et qu'on leur donne la place qu'elles méritent, et en plus continuer à créer, à partir des organisations sociales, les conditions pour la construction d'une nouvelle société dans laquelle on donne priorité à la souveraineté alimentaire et à un commerce équitable, en tant qu'axes centraux de celle-ci. 

Notes: Traités de libre commerce référés au tableau 1
1 Conformada por Suiza, Liechtenstein, Islandia y Noruega.
2 Conformada por Colombia, Chile, Perú y México
3 Conformada por Bolivia, Colombia, Ecuador y Perú.
4 Conformada por Argentina, Brasil, Colombia, Paraguay y Uruguay.
5 Conformada por El Salvador, Guatemala y Honduras.
6 Conformado por Jamaica, Belice, Barbados, Dominica, Antigua y Barbuda, Trinidad y Tobago, Guayana, Granada, Monserrat, San Cristóbal y Nieves, Santa Lucía, San Vicente y las Granadinas

Références : 
● Clarín. (2019). Informe de la OCDE. En la Unión Europea, los subsidios a productores alcanzan el 20 por ciento de sus ingresos.
● Contexto ganadero. (2020). Así se están moviendo las importaciones de leche y derivados vía TLC.
● El Cronista. (2020). La UE otorgará en 2020 subsidios agrícolas directos por 40.000 millones de Euros.
● El Mundo. (2020). El “rescate” del campo por Trump ha costado más que el de General Motors y Chrysler. 
● Informe sobre los acuerdos comerciales vigentes de Colombia. (s,f). Ministerio de Comercio, Industria y Turismo. 
● Legiscomex. (sf). Sector agrícola.
● Oxfam. (2015). La quiebra del agro en Colombia por el TLC: Las predicciones se confirman.
● Perfil Chile. (2020). Ministerio de Comercio, Industria y Turismo.
● Perfil de Estados Unidos (2020). Ministerio de Comercio, Industria y Turismo.
● Perfil de la Unión Europea. (2020). Ministerio de Comercio, Industria y Turismo.
● Portafolio. (2020). Sustitución de importaciones agropecuarias.
● Razón Pública. (2020). Los problemas del sector agrícola colombiano.
● Sociedad de Agricultores de Colombia. (2019). Colombia: El mayor importador latinoamericano de productos agrícolas y alimentos de Estados Unidos.
 

Articulo original: /https://cedins.org/index.php/2021/07/25/tlcs-importaciones-crisis-fiscal-y-eliminacion-del-campesinado/

Auteur.trice
Freddy Díaz – Equipe de Tierras CEDINS