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24/03/2015

Par Florence Tiffou, stagiaire du Projet Accompagnement Solidarité Colombie

La Occidental Petroleum Company (OXY) est une pétrolière états-unienne bien connue pour sa mauvaise réputation en Colombie. Dès 1983, la OXY découvre un des plus importants champs pétrolifères du département d’Arauca, celui de Caño Limon. En quatre décennies d’exploitation, la OXY y a exploité plus d’1,2 milliards de barils et s’est vu confrontée à plusieurs accusations importantes.
 

Un passé peu glorieux

En 2007 et 2008, le cas de la OXY est présenté à la session colombienne du Tribunal Permanent des Peuples sur les entreprises transnationales et les droits des peuples. Les Tribunaux Permanent des Peuples sont des outils de réappropriation de droit par les communautés et organisations sociales qui permettent de dénoncer les violations de droits humains en sortant des structures législatives. Ces Tribunaux d’opinion sont basés sur la Déclaration universelle des droits de Peuples d’Alger et les différents instruments de droits humains reconnus au niveau international. La session colombienne du tribunal souligne le lien entre la présence de l’entreprise pétrolière et celle d’acteurs armés dans la région. La OXY est alors accusée de financer des infrastructures utilisées pour de graves violations de droits humains dans le contexte du conflit colombien, qui a débuté il y a plus de 60 ans. De plus, le jury conclut que la présence de l’entreprise dans la région enfreint le respect des lieux sacrés garanti aux communautés autochtones et reconnu au niveau du droit international.

Plus récemment, en 2012, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a dénoncé l’implication de la OXY dans le massacre de Santo Domingo, en 1998, dans lequel 25 individus furent blessés et 17 assassinés, incluant 7 enfants. La OXY y aurait participé en finançant des groupes de sécurité et en donnant les coordonnées du village de Santo Domingo pour le bombardement effectué par l’Armée colombienne afin de protéger ses intérêts économiques et productifs. Ce massacre eut lieu dans le département d’Arauca, région stratégique économiquement pour l’exploitation pétrolière qui y est développée. Un rapport d’Amnistie internationale fait état de la corrélation qui existe dans le département d’Arauca entre les violations de droits humains et la présence d’intérêts transnationaux et d’entreprises extractives. Le rapport note que dans les régions riches en pétrole, on recense un nombre élevé d’assassinats ciblés, de disparitions forcées, de judiciarisation, de menaces et d’intimidations, plus particulièrement pour les défenseurs de droits humains, les leaders s’opposant aux projets extractifs, les leaders syndicaux, les membres d’organisations sociales et les membres de communautés autochtones. Cette tendance a été confirmée dans d’autres régions colombiennes et d’autres pays d’Amérique latine.


La lagune de Lipa

Ainsi, depuis plus de quarante ans, les communautés et organisations sociales luttent pour défendre le territoire convoité par la OXY. En novembre 2014, une action collective (accion popular) - qui est un processus de plainte auprès des tribunaux lorsque des droits collectifs sont bafoués – est portée devant le Tribunal contentieux administratif d’Arauca. La dénonciation accuse la OXY, Ecopetrol – l’entreprise pétrolière nationale -  et différentes institutions gouvernementales colombiennes d’être responsables des impacts négatifs qu’engendre le nouveau projet de la OXY dans la lagune de Lipa. Le projet vise à creuser neuf nouveaux puits de pétrole qui se trouveraient sur une plateforme artificielle construite au centre de la lagune.

La région où se développe le lieu d’exploitation a été déclarée réserve naturelle forestière afin de conserver sa faune et sa flore. De plus, la zone est considérée comme territoire ancestral des communautés autochtones Sikuani, Betoy, Makaguan et Hitnu. En plus de forcer ces communautés à se déplacer, l’exploitation pétrolière de la lagune de Lipa altère l’écosystème, ce qui contrevient à une croyance importante des communautés autochtones de la région selon laquelle tous dommages environnementaux engendrent la fuite des esprits habitant ce lieu et sans les esprits, l’équilibre est brisé.

L’action collective indique que le projet dans la lagune de Lipa entraine différentes violations de droits humains, incluant :

•    Le non-respect du processus adéquat de consultation préalable des communautés autochtones de la région;
•    Le déplacement forcé des communautés Sikuani, Betoy, Makaguan et Hitnu;
•    La violation du droit à la libre circulation;
•    La violation de droits culturels des communautés en les empêchant de pratiquer leurs rituels ancestraux;
•    La violation du droit à un environnement sain, notamment par la contamination des eaux et l’assèchement des cours d’eau;
•    La violation du droit à la souveraineté et à l’autodétermination des peuples;
•    La violation du droit à la vie.

Déjà, en 1998, les institutions gouvernementales colombiennes1 dénonçaient que les infrastructures pétrolières de la OXY avaient causé des altérations dans le flux des différents cours d’eau. Le type d’exploitation utilisée pour récupérer le pétrole est la méthode « par injection ». Les conséquences environnementales de cette méthode incluent l’augmentation de la température de l’eau et le dépôt de résidus solides dans les cours d’eau, participant à la contamination des flux hydriques. De plus, l’action collective indique que la venue de la pétrolière engendre une augmentation des acteurs armés résultant en un accroissement des actes de violence mentionnés précédemment.

Le projet de la OXY dans la lagune de Lipa enfreint divers articles de la constitution colombienne et des Pactes internationaux de 1966 signés par la Colombie. Ainsi l’action collective demande le retrait du permis d’exploitation qui a été autorisé à la OXY et la suspension des activités de la OXY liées au projet principal dans lequel s’inscrit celui d’exploiter la lagune de Lipa, c’est-à-dire, le projet Chipiron.
 

La sourde oreille

Malgré des études réalisées par des institutions gouvernementales colombiennes confirmant les dénonciations des communautés et organisations sociales, la OXY conserve ses privilèges dans la région. Effectivement, une étude effectuée par la CORPORINOQUIA, suite à l’énonciation de tous les risques liés à l’exploitation de la lagune de Lipa, conclut son rapport en autorisant une licence environnementale à l’entreprise . Ce permis marque le début du nouveau projet de la OXY dans la lagune de Lipa.

Malgré les différentes dénonciations portées contre l’entreprise, la juridiction états-unienne semble également offrir l’impunité aux actes de la OXY. En 2014, une cour fédérale californienne a refusé d’entendre le cas qui tentait de démontrer le lien entre la OXY et le massacre de Santo Domingo, alléguant que les actes s’étaient produits hors de sa juridiction.


La lutte continue

Malgré les actes d’intimidation, les disparitions forcées, les déplacements forcés et les assassinats ciblés, les communautés et les organisations sociales persistent dans leur lutte contre la OXY. Elles se lèvent pour défendre leur territoire et leurs droits. Plusieurs marches ont été organisées et des actions juridiques ont été mises en œuvre pour que ces violations ne restent pas dans l’impunité. Les résultats observés ces dernières années, notamment à la Cour interaméricaine des droits de l’homme, montrent que leur persévérance porte fruit.

La OXY n’est pas la seule pétrolière qui abuse du vide juridique existant en ce qui a trait aux transnationales, et un effort est nécessaire pour ajuster les législations pour éviter que persiste cette impunité.


Notes:
[1] Rapport de l’Ombudsman pour la région d’Arauca. (25 novembre 1998). Explotacion petrolera y medio ambiente: caso Occidental de Colombia, Campo Cano Limon, Estero del Lipa, Arauca.

Auteur.trice
PASC