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24/04/2014

Contrairement aux prisons européennes, les prisons colombiennes se contentent de « boucler » les prisonniers qui sont livrés à eux-mêmes dans des patios, vastes cours insalubres  où ils s’entassent  et passent leurs journées. La nuit, ils sont enfermés dans des cellules de 4 personnes en général. Ce système de détention est en train de changer avec l’introduction du système Eron1 venu des USA, mais il est encore largement dominant  à Picalena.
De l’extérieur, la prison de Picalena a plutôt fière allure, un grand bâtiment moderne qui semble offrir beaucoup de place aux détenus. De plus, des espaces verts séparent les pavillons, on a prévu des stades de  sport et au rez-de-chaussée, les cuisines sont spacieuses et modernes. Mais on se demande pourquoi les près de 6000 prisonniers sont confinés dans les seules ailes du bâtiment, pourquoi les patios souffrent de surpopulation alors que les couloirs sont immenses et que de grandes surfaces n’ont aucune affectation particulière. Personne ne répondra à cette question.

Dans tous les patios, les détenus se plaindront de maux récurrents :


Le manque d’eau qui n’est distribuée que 3 fois par jour durant 1 heure ! Pas d’eau pendant la nuit par exemple, ce qui rend plutôt pénible la cohabitation dans les cellules de 4 ou 5 hommes.

  • Les conditions sanitaires en général
  • La nourriture, insuffisante et de qualité médiocre
  • l’insuffisance de soins médicaux : toutes les maladies sont traitées avec le même antidouleur, les cas graves ne sont pas suivis.
  • L’absence d’homogénéité dans les patios. Jadis les prisonniers politiques avaient droit à leur patio. Aujourd’hui ils doivent cohabiter avec des paramilitaires, des prisonniers de droit commun, des assassins, des violeurs, etc. Des prisonniers âgés doivent subir la loi de jeunes délinquants, les indigènes sont sans protection aucune, les cas psychiatriques parfois graves ne sont pas séparés du reste de la population carcérale.
  • l’insécurité : de nombreux patios sont «gérés » par un ou deux « caïds » qui font régner leur loi, celle du plus fort, font payer ou travailler les plus faibles, souvent avec la complicité des gardiens qui en retirent quelque profit. Parfois ils volent la nourriture pour la revendre entre 8000 et 10000 pesos aux détenus à qui elle était destinée. Ils rackettent aussi les visites des prisonniers, entre 40 000 et 50 000 pesos l’entrée. Certains reclus représentant les DDHH dans ces patios pourraient être impliqués dans ces extorsions. Les conséquences sont graves,  A Picalena, plusieurs homicides ont eu lieu cette année entre prisonniers suite à des règlements de compte entre bandes rivales. Dans le patio 7 par exemple, on compte 7 morts en peu de temps, accidents ou homicides, nul ne sait vraiment ! 2
  • La surpopulation qui aggrave tous les problèmes déjà cités. Selon l’INPEC3, la surpopulation est de près de 200% dans le bloc 1, le plus important (3044 prisonniers pour une capacité de 1555).
  • L’abus d’armes légales contre les prisonniers, les gaz notamment, lancés par les gardiens chaque fois que des débuts de troubles menacent un patio ou une cellule.


 


Les détenus politiques


En dépit de l’espace offert par le vaste bâtiment de Picalena, nous nous entretiendrons avec les détenus politiques debout, dans des couloirs bruyants, en plein passage. Il en est de même quand un prisonnier doit s’entretenir avec son avocat. Dans un seul cas on mettra à notre disposition une salle qui offrira un peu plus de confort aux 18 détenus politiques que nous convoquons.
Selon leur âge, leur condition physique –et leur condamnation- les prisonniers sont plus ou moins vifs et positifs. Leur degré de politisation semble les préserver de l’abattement, mais ce n’est pas le cas général.
Nombre d’entre eux m’abordent pour me raconter leur histoire personnelle, celle du  jeune milicien pris par surprise, condamné à 10 ans pour rébellion et bouclé à Picalena alors qu’il vient d’Arauca, à l’autre bout du pays, celle du paysan âgé accusé de complicité pour un délit qu’il ignore, il attend sa condamnation depuis …27 mois et rien ne vient, il risque 14 ans de détention, celle du détenu ordinaire, père de famille, il n’a pas revu ses enfants depuis …40 mois, sa femme ne vient plus lui rendre visite, celle aussi du prisonnier repris peu après sa libération et condamné cette fois à … 40ans ! En dépit de ces misères, tous restent dignes et analysent leur situation avec une lucidité désarmante. L’un d’eux m’adresse des plaintes particulières concernant les minorités maltraitées dans les patios, les infirmes, les indigènes, les cas psychiatriques, il me demande d’intervenir pour eux. Un autre, dans une situation juridique inextricable, me demande un appui international.
Cristina prend note des situations juridiques particulières, elle fera son possible pour accélérer certains processus, prendra des contacts, s’occupera des plaintes (trop souvent) perdues (avec la complicité des gardiens), son dévouement pour les prisonniers est inépuisable.
Cela tombe bien, ils n’ont pour la plupart personne d’autre sur qui compter.
Derrière les barreaux des patios ils nous regardent repartir, leurs cris nous accompagnent longtemps.



1- Eron :  sistema de reclusion de orden nacional calqué sur le système  américain. Malgré les espoirs, il n’a en rien résolu les problèmes des prisons colombiennes.
2-Le 28 avril, nous apprenons que suite à une attaque entre clans, il y a eu 3 morts et 6 blessés dans le patio 7.
3- Inpec : Autorité pénitentiaire colombienne

Auteur.trice
REDHER