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07/04/2023

Le changement commence par la liberté.

Nous vivons une époque de turbulences et d'opportunités tant attendues dans notre Amérique après que la rage de nos peuples ait fait trembler la terre des montagnes à la mer, après que les campagnes et les villes aient explosé en dignité face à l'arrogance des mauvais gouvernements. Bien que l'histoire de notre peuple soit celle de la résistance quotidienne contre la dépossession, ces dernières années de lutte et de cuisine avec la traditionnelle soupe du Sancocho, devenue symbole du pouvoir populaire, représentent une étape importante qui porte ses fruits dans l'arrivée de gouvernements alternatifs.

En Colombie, nous vivons un important cycle de mobilisations sociales qui remonte à 2019 et a atteint son apogée en avril 2021, où pendant plusieurs mois la population est descendue dans la rue pour réclamer de meilleures conditions de vie. Cependant, le sombre panorama de déprédation de la vie matérialisé par les institutions légales et para-étatiques au service des élites colombiennes, a tenté de noyer dans l'horreur de la répression et la torture de la prison une jeunesse qui a affronté sans peur les balles avec des pierres. La criminalisation a été la marque permanente du traitement de la contestation sociale par l'État. Plutôt que de répondre aux justes revendications du peuple organisé, les forces répressives se sont mises en action pour entreprendre des processus de persécution, d'agression et de poursuites contre les camarades. Ce n'est pas nouveau. Historiquement, l'État colombien a systématiquement construit des montages judiciaires et fait de la contestation sociale un crime, cherchant à ternir le travail des organisations sociales, non seulement pour tenter de mettre fin à leur travail de défense des droits humains et des territoires, mais aussi pour intimider les communautés et instiller la peur de la participation politique engagée dans la transformation sociale.

La répression a été brutale, les organisations de défense des droits humains ont pu constater qu'au moins 89 personnes sont mortes dans le cadre des manifestations sociales, des milliers de personnes ont été blessées et 291 ont été poursuivies par le ministère public, dont 195 sont privées de leur liberté1. En réponse à cela, surgit la campagne Ni Un Día Más ¡Libres y Absueltos !2, un espace d'articulation de différentes organisations sociales, de personnes et de familles qui affirment que manifester n'est pas un délit, que s'organiser pour défendre les droits du peuple n'est pas une action criminelle et que, par conséquent, tous les prisonniers politiques doivent non seulement être libérés des prisons, mais aussi être absous des charges qui leur sont injustement imputées au moyen de montages judiciaires. Avec le soutien de l'accompagnement juridique, des médias alternatifs et psychosocial des personnes privées de leur liberté, dénoncent depuis juillet 2022 les irrégularités présentes dans les processus judiciaires, ainsi que les conditions de vie précaires que subissent nos camarades enfermé.es. Ainsi, avec le triomphe de Gustavo Petro à la présidence de la Colombie, ces personnes ont participé activement aux processus nécessaires à la libération rapide des leaders sociaux emprisonnés, considérant qu’il s’agit lá d’une garantie nécessaire à la construction d'une paix totale en Colombie. La libération des jeunes détenues pendant les mobilisations de 2021 était une des promesses électorales faites par le président pendant sa campagne électorale.

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Manifestation devant l'INPEC, Asociacion familiares detenidos, Bogota

Les prisons en Colombie sont un espace oublié par la société, un espace où la vie humaine est traitée avec une valeur moindre et où les classes populaires exclues et exploitées sont confinées par un système dont la loi est la dépossession. Ce sont des espaces où les conditions de vie sont déplorables en raison de l'absence de conditions minimales d'hygiène, d'alimentation et de soins de santé. En outre, loin d'être un espace de resocialisation, ce qui prévaut, ce sont des dynamiques violentes dans lesquelles les frontières entre le légal et l'illégal sont confondues. Ils sont aussi le lieu où le mauvais gouvernement cherche à confiner la rébellion, où il tente de flétrir le printemps de la vie en enfermant les semences du changement, comme si de cette façon il pouvait déraciner les racines qui continuent à germer quotidiennement dans tous les coins marginalisés par l'État. C'est là que l'injuste justice colombienne a de nombreuses personnes qui défendent les droits humains qui ont défendu le droit à la protestation sociale, des journalistes populaires qui ont brisé le régime des mensonges du pouvoir et de ses serviteurs médiatiques, des membres des Primeras líneas (premières lignes) qui ont défendu leurs territoires contre la cruauté de la police, du personnel médical qui a donné les premiers soins aux victimes, le personnel médical qui, par solidarité, a apporté les premiers soins aux blessés des mobilisations, les étudiant.es qui se sont opposés à l'idée que le savoir était un privilège et une marchandise, les dirigeant.es des campagnes et des villes qui n'ont pas baissé la tête pour crier dignement que la vraie justice réside dans la lutte pour une vie digne.

La campagne Ni Un Día Más ¡Libres y Absueltos ! a effectué une série de visites humanitaires dans les centres pénitentiaires et les unités de réponse immédiate où les camarades sont détenues. Là, selon Daniel Salguero, membre du collectif de défense des droits humains Jesús María Valle Jaramillo et du Congreso de los Pueblos (processus articulés dans la campagne), il a été possible de mettre en évidence les conditions précaires dans lesquelles sont détenues les personnes privées de leur liberté, et l'urgence de traiter leur libération afin qu'elles puissent préserver leur intégrité : La nourriture est terrible, non seulement en raison de l'état déplorable dans lequel elle est servie, mais aussi en raison de son intermittence ; de même, l'accès à une ressource vitale comme l'eau est limité dans certains centres de détention ; la surpopulation généralisée qui rend le transit dans ces espaces encore plus complexe ; le manque d'attention adéquate et opportune aux situations médicales ; les pratiques violentes de torture et d'extorsion dont ils sont victimes, entre autres. Ces conditions infrahumaines, ajoutées à la propagande médiatique qui stigmatise constamment leur travail et génère une répudiation sociale à leur égard - une stratégie systématiquement orchestrée par les partis de droite en alliance avec les secteurs oligarchiques - génèrent une forte pression psychosociale qui conduit à des situations critiques allant jusqu'au suicide. Une situation tout aussi critique s'observe dans le cas des personnes assignées à résidence, où l'emprisonnement fait également des ravages dans leur entourage : elles ne peuvent pas travailler, leur curriculum vitae est ruiné et la peur est un fardeau considérable. C'est pourquoi l'accompagnement fourni par la campagne devient fondamental, non seulement pour apporter un soutien psychosocial dans un contexte où celui-ci brille par son absence, mais aussi pour surmonter la négligence avec laquelle le pouvoir judiciaire traite ces affaires, à travers des reports et des retards constants dans les procès, la présentation d'un matériel de preuve vain dans lequel, par exemple, la plupart des témoins à charge sont des policiers, entre autres.

C'est en raison de cette situation humanitaire complexe et de l'injustice dont ils sont victimes que la libération rapide de nos camarades est nécessaire. À cette fin, et dans le but de faire en sorte que ces personnes puissent non seulement se défendre en toute liberté, mais aussi de mettre un terme aux montages et aux accusations exagérées de façon irrationnelle dont elles font l'objet. La campagne a mené des actions dans différents espaces. L'une d'entre elles est le travail au sein d’un table ronde sur alternativité pénal pour trouver des alternatives au cours des procédures déjà en cours, à laquelle participent non seulement le ministère public, mais aussi le mouvement social. Un autre champ d'action se trouve dans le secteur législatif, puisque la libération des camarades capturés pour leur participation aux mobilisations de ces dernières années fait partie de la politique de paix totale proposée par le Pacte historique ( Parti du gouvernement au pouvoir). Cependant, la route pour mettre en œuvre cet agenda législatif a connu plusieurs revers, qui ont oscillé entre minuties juridiques, retards bureaucratiques et manipulation médiatique par des secteurs réactionnaires pour empêcher la libération effective de nos camarades.

Actuellement, le processus de libération est géré par la figure des « porte-parole de la paix », dans le cadre de laquelle des camarades appartenant à des organisations sociales et humanitaires seraient nommés. Ce mécanisme, mis en œuvre par décret présidentiel, permettrait à ces jeunes de retrouver la liberté tandis que les processus de consolidation de la paix dans leurs territoires sont renforcés par le retour de ces leaders au sein de ces communautés ; cette proposition s'accompagne de l'offre d'opportunités de formation académique et professionnelle afin que, hors des liens de la prison, ils puissent être les leaders du processus de transformation qui se cultive en Colombie. Il est important de mentionner que, bien que cette mesure envisage la liberté, elle n'implique pas l'absolution directe des procédures pénales, puisque celles-ci continueront leur cours normal ; il s'agit d'une action urgente visant à garantir des conditions humanitaires et cohérents avec la paix pour les camarades qui sont actuellement victimes de la négligence de l'État.

Pour faire de la liberté une réalité, en octobre 2022, la campagne Ni Un Día Más a présenté un recensement à la présidence de la république avec des informations complètes sur ces personnes afin d'accélérer leur nomination comme « porte-parole de la paix ». Cependant, la Commission intersectorielle pour la promotion de la paix, la réconciliation et la participation citoyenne3, créée pour procéder à la sélection de ces porte-parole, n'a jusqu'à présent nommé que 17 des 201 personnes envisagées dans le recensement, et parmi celles-ci, seules 2 ont effectivement recouvré leur liberté. Cette lenteur du processus n'est pas seulement due aux interminables processus bureaucratiques, mais aussi à toute la controverse créée dans l'opinion publique par les secteurs oligarchiques qui donnent en permanence une continuité au discours stigmatisant contre la protestation sociale basé sur la doctrine de l'ennemi intérieur. Leur principal argument est qu'il est inconstitutionnel de nommer des personnes comme « porte-parole de la paix » par résolution présidentielle car cela rompt avec la séparation des pouvoirs, cependant, ils omettent le fait que ce même mécanisme a été utilisé par les gouvernements précédents dans le cadre de négociations de paix.

Paix totale

À partir du travail réalisé par la campagne Ni Un Día Más, il est possible de démontrer non seulement l'urgence d'entourer les processus de nos camarades afin qu'ils puissent obtenir leur prompte liberté, mais aussi la nécessité d'une transformation structurelle du traitement du mouvement social par l'État. Pour que la paix soit totale en Colombie, il ne suffit pas de désarmer les groupes insurgés et les bandes criminelles ; il est essentiel de démanteler à la racine l'échafaudage institutionnel et para-étatique qui criminalise et emprisonne, torture et assassine les personnes en résistance. Il s'agit d'un processus qui passe nécessairement par la mise en œuvre effective d'actions visant à reconnaître la responsabilité des attaques contre les organisations et les personnes, la réparation des victimes et les garanties de non-répétition de la violence subie, ce qui inclut évidemment une réforme structurelle des forces armées telles que la police et l'armée, dans laquelle non seulement la doctrine de l'ennemi intérieur est démantelée, mais aussi l'Escadron mobile anti-émeute (ESMAD). En même temps, il est nécessaire que ce nouveau moment pour la construction de la paix en Colombie ait comme pilier la participation contraignante des territoires, un principe qui doit sans doute être articulé efficacement avec ce qui précède.

Pour conclure, nous partageons ici un message de la campagne au monde entier

"Le message que nous envoyons est un appel à la solidarité à travers la demande au gouvernement national de libérations rapides, de soutien matériel pour atténuer les conditions humanitaires de ceux qui sont privés de leur liberté, et de pression politique pour les changements nécessaires en Colombie. Il est nécessaire de comprendre que ces personnes étaient engagées dans la défense des droits humains, de la communication sociale de la presse alternative et populaire, ielles étaient les premiers secours, des leaders sociaux, des jeunes qui à l'époque étaient avec la colère juste et digne de ces processus. Protester ne devrait pas être un crime alors qu'il y a la faim, la pauvreté, que les gens sont assassinés. C'est pourquoi nous demandons l'acquittement de ces affaires, que, si l'on parle d'une paix totale, nous demandons qu'elle se fasse réellement avec le mouvement social, avec le mouvement qui a lutté pour les transformations sociales en Colombie et avec les personnes qui vivent au jour le jour les situations, qui sont les personnes qui sont sorties pour se mobiliser et qui peuvent sortir à nouveau pour se mobiliser à la recherche d'un pays pour une vie digne".


 

1 Pour plus d’informations, veuillez consulter les liens suivants :

https://defenderlalibertad.com/el-sometimiento-de-la-democracia-un-balance-del-derecho-a-la-protesta-social-en-colombia-en-el-ano-2021/

https://defenderlalibertad.com/informe-final-mision-sos-colombia/

https://www.colectivodeabogados.org/rechazamos-demora-en-libertad-de-personas-voceras-de-paz-y-persecucion-a-funcionarios-garantistas/

2 https://twitter.com/ni1undiamas

3 https://funcionpublica.gov.co/eva/gestornormativo/norma.php?i=199863

Auteur.trice
PASC