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17/05/2017

Il existe des parallèles frappants entre les peuples autochtones au Canada et en Colombie. Il s'agit d'un continent où on s’est efforcé depuis les premiers contacts d’éliminer les peuples autochtones grâce à des politiques de génocide physique et culturel. Bien qu'il y ait des différences marquées entre les deux régions, elles partagent des expériences de discriminations structurelles et des politiques destructrices qui ont mené à la marginalisation, au déplacement, à des obstacles pour l'obtention de titres et du contrôle réel sur leurs territoires ancestraux.

« Nous avons de sérieux conflits avec l'État à propos de leur vision minière. Ils disent que le sous-sol est à eux; nous disons que la terre est une avec le sous-sol : Vous ne pouvez pas les séparer d'un point de vue spirituel. C'est la guerre que nous traversons... pour avoir l'air, la terre, le sous-sol, ensemble. »1, a déclaré le chef de la réserve autochtone Cañamomo Lomaprieta du peuple Embera Chamí dans l'ouest de la Colombie. Ses paroles reflètent le choc des paradigmes qui découle de décennies d'un conflit armé et des menaces continuelles pour la survie des peuples autochtones colombiens. La Colombie abrite plus de 100 peuples autochtones culturellement distincts. Environ 70 % vivent dans les zones rurales, dont beaucoup sur des réserves qui couvrent environ 30 % du territoire du pays.

La constitution colombienne de 1991 affirme que les terres communales des peuples autochtones et des communautés afro-descendantes sont « inaliénables, inextinguibles et immunisées contre les saisies ». Et pourtant, comme au Canada, en dépit de la protection constitutionnelle des droits des Autochtones, il y a une application minimale de la reconnaissance de titre foncier ou d’obtention de consentement au développement touchant leurs territoires. Le contraste est flagrant avec les processus accélérés que l'État permet pour l'octroi de concessions aux industries d'extraction de ressources. Une mission de juillet 2010 de l'Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones a indiqué que des concessions commerciales étaient accordées dans 80 % des réserves autochtones sans consultation ou consentement adéquat, et sans informer les communautés touchées2.

Les communautés autochtones sont extrêmement vulnérables à la suite de siècles d’assujettissement et de dépossession. Une décision marquante de la Cour constitutionnelle de Colombie en 2009 3 a révélé que plus d'un tiers des peuples autochtones de la Colombie sont menacés d'« extermination physique et culturelle ». Sur plus de 100 groupes autochtones, 66 sont officiellement considérés à risque élevé de disparition et 36 à risque d'extermination. Ces effets disproportionnés du conflit armé sont attribuables à l'invasion des activités extractives des secteurs minier et énergétique. Les récents efforts du gouvernement pour essayer de rendre les terres aux personnes dépossédées échouent – une histoire similaire à la « question foncière » au Canada.

À l'heure actuelle, les peuples autochtones du Canada et de la Colombie sont confrontés à une pression croissante des intérêts commerciaux dans les secteurs de l'énergie, des mines et de l'extraction. L'imposition de projets de « développement » à grande échelle sans consentement génère des conflits qui menacent l'existence même des peuples autochtones, tant du point de vue cosmologique que culturel, et à travers un modèle économique qui met en péril leurs territoires et, ultimement, la planète. Pour les défenseur.es de la terre, la dernière vague de l'extractivisme a entraîné d'intenses conflits, les États soutenant l'accès des entreprises aux terres et aux ressources. Au Canada aussi, où les peuples autochtones sont engagés dans des luttes de première ligne pour exiger que les gouvernements obtiennent leur consentement libre, préalable et éclairé pour des projets comme les pipelines et les projets énergétiques.
 
Les peuples autochtones du Canada se battent pour que les entreprises soient tenues responsables des dommages environnementaux et des atteintes aux droits de la personne causés par leurs opérations. Les parallèles avec la Colombie sont évidents, le système de justice du Canada échouant régulièrement, comme dans le cas du déversement de résidus dans des étangs en août 2014 à la mine d'or et de cuivre Mount Polley de Imperial Metals en Colombie-Britannique. Les peuples autochtones qui vivent près du site dépendent de la région pour la nourriture, les médicaments et les moyens de subsistance, et souffrent toujours de cette situation. L'échec du gouvernement de la Colombie-Britannique à enquêter et à prendre des mesures contre les responsables enfreint les droits des personnes atteintes selon la loi internationale des droits de la personne4.

Les menaces sont constantes depuis plusieurs années. L'objectif a été de déposséder les communautés de leurs territoires. Un rapport récent du Global Witness5 relate l'accélération alarmante des attaques contre les défenseur.es des terres, citant la Colombie en troisième place pour le nombre d'assassinats en 2015. Les peuples autochtones étaient particulièrement vulnérables et représentaient 40 %; au moins neuf leaders autochtones ont été tué.es en Colombie.

Les raisons sont claires. Celles et ceux qui sont les plus proches de la terre se battent pour la protéger des entreprises rapaces locales et étrangères. En vérité, le conflit armé en Colombie a perduré en raison d'un conflit persistant sur l'accès à la terre et aux ressources. La situation s'est intensifiée au cours des dernières années : les efforts de l'État pour sécuriser l'investissement étranger ont perpétué la violence pour faire place aux mégaprojets. Amnistie internationale constate que les déplacements forcés et le détournement des terres sont la « caractéristique déterminante » du conflit armé interne6. Ces violations des droits de la personne visaient principalement les peuples autochtones et d'autres groupes étroitement liés aux terres.

Ce contexte violent illustre un autre lien entre le Canada et la Colombie. L'activité minière des entreprises canadiennes en Colombie augmente et, selon les auteurs de Blood of Extraction: Canadian Imperialism in Latin America7, les minières canadiennes sont « profondément impliquées dans l'économie de guerre de la violence et de la dépossession dont elles profitent ». En bref, les entreprises canadiennes bénéficient de ce qui nuit aux peuples autochtones.

J'ai voyagé en 2016 au nord-est de la Colombie, où les communautés autochtones et d'autres se sont organisées pour s'opposer aux activités des sociétés minières canadiennes. La société Eco Oro a obtenu une concession minière dans une zone humide de haute altitude (paramo). Cet écosystème fragile est la source d'eau pour plus de 1,5 millions de Colombien.nes. Le plan de l'entreprise était de forer à travers la montagne pour extraire l'or. Ses activités d'exploration se déroulaient parallèlement à la délocalisation des communautés locales, menaçant leurs moyens de subsistance, la nourriture et l'accès à l'eau. Grâce aux efforts soutenus et courageux des défenseur.es de la terres et de leurs allié.es internationaux, ce projet a été interrompu, bien que la société ait fait savoir son intention de poursuivre le gouvernement colombien pour des millions de dollars en vertu de l'Accord de libre-échange Canada-Colombie.

Les victoires récentes en Colombie8 sont des signes de la promesse que nous voyons ici aussi au Canada. Ce mois-ci, la nation Stk’emlúpsemc te Secwépemc (SSN) a fait valoir leur droit au consentement libre, préalable et éclairé au développement de terres et de ressources au lac Pípsell (ou Jacko) (à la périphérie de Kamloops, C.-B.) pour la mine de cuivre et d'or à ciel ouvert Ajax de KHGM International9. La nation défend une connexion historique, culturelle et spirituelle irremplaçable à Pípsell, qui serait irréparablement atteinte par l'exploitation minière proposée. Leur décision est basée sur leurs droits fondamentaux, soutenus par la loi internationale des droits de la personne et le droit canadien. Elle est basée sur un système de croyance partagé avec les peuples autochtones de la Colombie : leurs droits territoriaux sont fondés sur des liens sacrés avec les terres et les eaux, qui sont fondamentaux et doivent être protégés pour les générations à venir.

 

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1. Le gouverneur en chef de la réserve autochtone Cañamomo Lomaprieta, cité dans Forest Peoples Programme, Pushing for Peace in Colombia: Indigenous and Afro-Descendant Peoples join forces to uphold their rights, address mining related conflict, Executive Summary (2014- 2015). (Décembre 2015). p.5.

2. ONIC. (Juillet 2015). “Datos extraídos de Informes anuales de Derechos Humanos y DIH  2013, Enero-Septiembre 2014”, procesados por OCHA Colombia, cité dans Colombia Working  Group, Colombia in the shadow of human rights abusesp. 20

3. Ordonnance de la Cour constitutionnelle 004. (2009)

4. Amnistie internationale. Mining and Human rights in BC. https://www.amnesty.ca/our-work

5. Global Witness. (Juin 2016). On Dangerous Ground. 2015’s Deadly Environment: The Killing  and Criminalization of Land and Environmental Defenders Worldwide.

6. Amnistie internationale. (Novembre 2015). Colombia: Restoring the Land, Securing the Peace,  Indigenous and Afro-Descendant Territorial Rights. (AMR 23/2615/2015). p.3

7. Gordon, Todd et Jeffery Webber. (2016).

8. Les activités d’une autre compagnie canadienne, Gran Colombia Gold Corp, ont récemment été  interrompues par une décision de la Cour constitutionnelle du 28 février 2017. Cette décision  ordonne au gouvernement de consulter les communautés touchées. TeleSUR. (2 mars  2017). Big Win for Colombian Community Against Canadian Mining Giant.  CaribFlame. http://www.caribflame.com/2017/03/big-win-for-colombian-community-against-canadian-mining-giant/

9. Zeidler, Maryse. (4 mars 2017). First Nation-led environmental review panel rejects Ajax mine in Kamloops, B.C. CBC. http://www.cbc.ca/news/canada/british-columbia/first-nation-led- environmental-review-panel-rejects-ajax-mine-in-kamloops-b-c-1.4010569

 

Source : Quaker Concern by Canadian Friends Service Committee, Spring 2017

Auteur.trice
Heather Neun, Canadian Friends Service Committee