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10/05/2016

Depuis une vingtaine d’années, l’État colombien a mis en place une politique de sécurité du secteur minéro-énergétique. Cette politique s’inscrit dans l’accroissement du modèle extractif d’un côté, et la militarisation du territoire colombien de l’autre. Le tout se propose comme une solution à l’augmentation des conflits socio-environnementaux et syndicaux face aux multinationales.

Cette politique de sécurité génère trois conséquences principales : une privatisation de la force publique, des violations de droits humains et une perte de la souveraineté de l’État colombien.

Actuellement, il existe 20 bataillons spéciaux énergétiques et routiers (BAEEV) dédiés à la protection du secteur minéral (6 bataillons) et à celui du secteur des hydrocarbures (14 bataillons). Ce sont 498 hommes de l’armée publique qui sont attitrés à cette tâche à temps plein, avec un financement de 4,297 millions de dollars pour l’année 2015. Parmi ces bataillons, six sont attitrés exclusivement à des entreprises privées, dont les canadiennes Pacific Rubiales et Gran Colombia Gold. Ces dernières possèdent donc leur propre bataillon, payé à même les impôts colombiens, pour protéger leurs exploitations : pétrolière à Puerto Gaitán, Meta, pour la première, et minière à Ségovia, Antioquia, pour la seconde.

À ces bataillons, s’ajoutent neuf centres d’opérations spéciales pour la protection de l’infrastructure critique et économique de l’État (COPEI). Ceux-ci servent à la coordination de la force militaire et policière pour protéger les infrastructures extractives du pays.

Outre cette organisation interne de l’armée, il existe au moins 1 229 ententes entre des entreprises du secteur minéro-énergétique, la majorité étant des multinationales étrangères, et la force publique colombienne. L'objectif de ces ententes est de protéger les intérêts privés d’un secteur controversé et contre lequel de nombreux acteurs sociaux se mobilisent. Il est probable qu'un nombre plus élevé d'ententes ait été conclu. L'information concernant ces ententes est sous la responsabilité de chaque unité militaire et il n'existe aucun type d'archives à leur sujet au Ministère de la Défense. Ce manque de centralisation de l’information rend impossible de dresser un tableau juste de la situation. Toutefois, l’information disponible permet de s’apercevoir que ce type d’ententes a été en hausse depuis 2005 pour atteindre un sommet en 2010 avec 135 ententes signées. La majorité de ces ententes (81,6%) est signée avec l’armée nationale et concerne le secteur des hydrocarbures (61,4%) et minier (24,2%). Malheureusement, sans surprise, la canadienne Pacific Rubiales se place en chef de file dans la liste des entreprises ayant contracté le plus grand nombre d’ententes.

Entre 2009 et 2014, 18 plaintes pour corruption dans la gestion de ces ententes ont été portées devant le Ministère de la Défense, sans qu'aucune action satisfaisante ne soit entreprise. C'est en fait le Ministère de la Défense lui-même qui régit ces ententes via des résolutions internes. À cela s'additionne l’intérêt économique de celui-ci de conclure de telles ententes qui offrent un financement non négligeable pour les forces armées.

En tout, ce serait entre 15% et 20% de la force publique colombienne qui est attitré à la protection du secteur minéro-énergétique selon les dires du colonel Édgar Espinoza. Cette privatisation de la force publique se traduit par une augmentation des violations des droits humains. Si les ententes sont conclues sous prétexte d’une « menace terroriste », faisant référence aux guérillas présentes sur le territoire, ce sont plutôt contre les populations locales qui s’opposent aux projets extractivistes et face aux mouvements syndicaux que sont utilisées les forces armées.

Le portrait global de la situation nous permet de déceler un patron de violations des droits humains en Colombie qui se déroule sur trois étapes. Tout d’abord, des groupes paramilitaires forcent le déplacement d’une population pour libérer un territoire et le rendre disponible pour son extraction. Ensuite, la militarisation du territoire est perpétuée, voire solidifiée, par les forces armées nationales via les bataillons ou les ententes de protection avec les entreprises qui ont profité des déplacements forcés. Finalement, ce sont les groupes armés au service des entreprises qui engendrent des violations systématiques de droits humains.

La région du Putumayo offre un exemple concret de ce processus. Les paramilitaires sont arrivés au Putumayo en 1997, et se démobilisèrent en mars 2006, laissant derrière eux plus de 2 500 morts et 5 500 victimes. Depuis 2004, ce sont 40 ententes entre les forces armées et le secteur minéro-énergétique qui ont été signées dans cette région, notamment avec les entreprises canadiennes Gran Tierra Energy et Pacific Rubiales. Depuis, des violations graves de droits humains ont été effectuées par ces militaires. Entre janvier et mai 2008, huit cas d'exécutions extrajudiciaires de membres de la communauté autochtone Nasa sont attribuées aux brigades militaires. En septembre 2012, quatre autochtones nasas ont été détenus arbitrairement et des membres de la communauté Santa Elena ont été déplacés par ces mêmes brigades. En mai 2012, une femme autochtone a été victime de violence sexuelle par un membre du bataillon spécial énergétique et routier numéro 9. En mai 2013, 56 familles ont été déplacées à la suite de lancements de grenades à partir de la base militaire située dans les installations pétrolières de l'entreprise Vetra.

Malheureusement, le cas du Putumayo n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. De telles violations se produisent dans les départements de César, Méta, Casanare et ailleurs en Colombie.

En résumé, la relation entre la militarisation des territoires et la présence des multinationales sur celui-ci n'est pas le résultat d’un hasard, mais bien d’une stratégie d'extraction des ressources naturelles. La situation de privatisation des forces armées à laquelle fait face la Colombie actuellement correspond à la réponse du gouvernement face à une hausse des conflits socio-environnementaux. Alors que les médias mettent de l’avant le processus de paix colombien et le post-conflit armé, les militants sociaux doivent toujours faire face à la force armée pour défendre leurs droits fondamentaux.  
 

Source : Iván Cepeda Castro, «Convenios entre empresas del sector minero-enérgetico y fuerza pública», Comisión II de Senado, 3 de noviembre de 2015

Auteur.trice
PASC