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23/09/2014

Trois ans après la sanction présidentielle de la loi 1448 (2011) par le président Santos, le résultat en matière de restitution de terres est un échec total : faible niveau de réclamation, défaillance des objectifs de transfert des terres, et pire encore, absence de marque de volonté de changements en ce qui a trait au modèle de développement agraire colombien. Ces faits dessinent un futur désolant quant au chapitre de la restitution des terres, mais également pour Santos qui s'est engagé avec tant véhémence devant les victimes du pays.

Depuis que le processus légal du projet de loi sur les victimes et la restitution des terres s’est initié au Congrès, divers secteurs sociaux et politiques se sont alarmés. En effet, des organisations de victimes se sont prononcées au sujet des impacts incertains qu’aurait la loi si certains de ses aspects n’en étaient pas modifiés, tels que la date à partir de laquelle s’appliquait la restitution, l’inversion de la charge de la preuve, la focalisation sur le micro, le financement et, sûrement le plus important, la décision politique d’entreprendre un processus de réforme agraire intégral.

L’entrée en vigueur de la loi a donné raison à tou.te.s celles et ceux qui étaient alors qualifié.e.s de pessimistes ou de radicaux. En effet, les résultats ont montré l’inefficacité et la lenteur des processus -autant administratif que judiciaire- de la restitution, configurant ainsi un scénario décourageant pour celles et ceux qui ont été dépossédé.es de leurs terres.

Cet article exprime une opinion critique du projet de restitution de la loi 1448 de 2011 qui prévoit un scénario d’impunité et de légalisation de la dépossession. Au lieu de compenser les victimes, cette démarche vise à dynamiser le marché foncier, avec comme but premier de faciliter l’insertion du pays dans la logique de l’économie globale.


Le projet de restitution fortifie et perpétue le modèle de développement actuel pour le secteur agraire

La restitution doit être étudiée et analysée sur la base du modèle de développement agraire colombien. Par conséquent, l’enjeu de la loi en question n'est pas de modifier la structure de la propriété agraire en Colombie, mais plutôt de faciliter l’expansion du marché foncier en formalisant la propriété rurale ce qui accélère les transactions commerciales de celles-ci et optimiser ainsi leur production. Ceci s’explique par le fait que le modèle de restitution a été mis en place selon un modèle d’agriculture intensive avec une structure double : dans un premier temps une agriculture commerciale en expansion et dans un deuxième temps une économie paysanne mise à mal par la non-assistance de l’État. Ce contexte favorise les cultivateurs permanents au profit des cultivateurs transitoires correspondant en majorité à l’économie paysanne.

Ainsi, le modèle agraire dominant privilégie les activités agroindustrielles, minières et d’élevage intensif de bétail au dépend de la production d’aliments, appauvrissant ainsi la paysannerie qui se voit dans l’obligation, dans la plupart des cas, de se retourner vers d’autres types d’activités économiques et ce, quand les paysans ne sont pas violemment expulsés de leurs territoires par la force. Les chiffres en matière de concentration de propriété de la terre sont accablants : 1% de la population possède 55% du territoire (Arias 2013). Ainsi, toute tentative de restitution des terres restera vaine tant et aussi longtemps que la propriété foncière ne sera pas démocratisée.

De surcroît, dans un tel contexte, s’est développé un système de pouvoir politique aux mains des élites rurales qui contrôlent la population et les ressources configurant un ordre social rural injuste et inéquitable. De plus, les facteurs de pouvoir que génère la plupart du temps la dépossession des terres maintiennent intacte leur structure de domination et de contrôle sur le tissu communautaire et économique. Pour toutes ces raisons, le long processus de restitution établi par la loi est associé au modèle dominant. Si un tel système se maintient, dans lequel les responsables des dépossessions de terres restent à la tête de la structure, l’authentique restitution de terres sera impossible et la violence et le pouvoir autour de la question de la propriété persisteront. En somme, la restitution juste sera possible à travers un processus intégral de réforme agraire qui démontera les structures du modèle actuel et qui garantira les conditions physiques et matérielles qui faciliteront le retour des victimes.

Restitution et politique publique du secteur agraire

Une restitution raisonnable dans un contexte interinstitutionnel aurait été que le gouvernement mette en place des politiques publiques qui soutiennent la volonté de restituer intégralement aux victimes leurs avoirs. Ce qui fut peu le cas. Si on examine la loi 1450 de 2011 du plan de développement, le gouvernement approuve trois articles (60, 61, 62) qui ont pour objectif de décentraliser la propriété rurale en constituant les dites zones de développement commercial qui seront attribuées aux grandes entreprises et aux compagnies agroindustrielles. D’ailleurs, le député Wilson Arias et le sénateur Jorge Robledo ont introduit une demande à l’égard de ces articles. Dans la décision 644 du 23 août 2012, la Cour Constitutionnelle déclare inapplicable ces articles, les considérant même comme un moyen régressif permettant la concentration de la terre. En d’autres mots, cette loi génère une régression des devoirs de l’État de promouvoir un accès progressif à la terre pour les paysans et viole ainsi la loi 160 de 1994.

Un autre phénomène indicatif de l’absence de la politique publique pour le secteur agraire concerne les grèves de 2013 et 2014 qui mettent en évidence la crise récurrente du secteur paysan. On constate par le fait même le désintérêt du gouvernement sur la problématique en question. Le chapitre de la restitution et la formulation de la politique publique pour le secteur agraire sont intimement en relation puisque la loi prévoit, comme cela devrait être, la facilitation de la restitution aux familles déplacées. De plus, selon une enquête réalisée par l’Université de Los Andes (CONPES 3712, p.32), 25% des 360 000 réclamations n’ont pas été accompagnés de restitution physique. Ce chiffre met en évidence le fait que l’objectif premier du programme en question n’était pas de rendre les terres aux familles ayant été violemment dépossédées mais plutôt de formaliser le vol de propriété à ses propriétaires et possesseurs naturels.

Conséquemment, cette situation affecte énormément le secteur paysan et par conséquent le processus de restitution. Par ailleurs on observe un refus catégorique du gouvernement d’inclure la classe paysanne au recensement national de l’industrie agraire. En effet, considérant qu’en vertu du rapport national de développement humain, la ruralité colombienne s’élève à 32% de la population (Colombie rural, Razone para la esperanza, p.8), secteur qui s’est heurté à une large chaîne de dépossessions et dont les indicateurs de niveau de vie sont les plus bas. Ainsi, malgré les faits démontrant que l’incorporation des paysans au rapport national est une urgence et une priorité, le gouvernement continue avec insistance et détermination à ne pas les reconnaître en plus de les catégoriser comme un groupe social marginalisé. Pire encore, le gouvernement parle de payer la dette historique du pays avec ce secteur.

Le chapitre de la restitution fait partie du programme de politique publique pour le secteur agraire que le ministère de l’agriculture a conçu pour durer quatre ans et fait partie de plusieurs documents de présentation de son portefeuille ministériel. De fait, la loi 1448 a un double impact : redonner la dignité aux victimes et contribuer à la relance du secteur paysan, deux objectifs qui ont un équilibre précaire.

Les chiffres de la restitution

À partir de l’entrée en vigueur de la loi, Santos vanta qu’elle serait «  une révolution agraire, pas une révolution avec les fusils mais bien avec la constitution et les lois » (président de la République, 2012), faisant référence au nombre d’hectares qui seraient restitués avec cette loi. Évidemment, les résultats de la loi démontrent qu’une telle révolution agraire n’a pas été mise en place.
Malheureusement le chapitre de restitution, depuis différents angles, projette beaucoup plus de négatif. La première année fut une sorte de consolidation institutionnelle. A ce jour, il y a 39 juges spécialisés en matière agraire, 15 juges dans les tribunaux de deuxième instance et 17 divisions territoriales avec une vingtaine de bureaux qui opèrent dans différents villages (Restrepo, p.39). Mais après plus de deux ans, le contrôleur général de la nation a qualifié de déficients la gestion et les résultats de l’unité administrative spéciale de gestion de la restitution de terres destituées -36,97/100 et (CGN, p. 4). Si le panorama en matière d’engagement institutionnel est celui-ci, encore pires sont les résultats en matière de restitution des terres.

Le gouvernement national a annoncé que durant la période 2012-2014 les terres de 160 000 familles  seront restituées  (El Nueavo Siglo, 2012), mais ces chiffres ne seront pas atteints. En effet, depuis le 18 décembre 2013, pour les 2600 demandes présentées devant les juges, seulement 854 cas qui correspondent à 18 464 hectares et qui représentent 715 terres ont été résolus, sans compter que ces cas représentent 333 différentes sentences (Restrepo, p.40). Il convient de rappeler que le total d’hectares abandonnés et dépouillés en raison du conflit s’élève à 6 638 195, mais que le gouvernement estime résoudre près de 360 000 cas qui dépassent à peine deux millions d’hectares de terres.

Les résultats démontrent l’échec incontournable de la loi, considérant les doutes sur la véracité des résultats présentés par URT. Selon cette entité, le 30 décembre de 2013, les titulaires de plus de 308 cas ont bénéficié d’un retour sur leurs terres ou d’un usage de celles-ci. En réalité, on observe qu’aucune restitution n’a été faite pour 112 cas et qu’aucune victime sur 50 cas n’a bénéficié d’un retour (Comision Colombiana de Juristas, p.9). Human Rights Watch (HRW) affirme que l’Unité de restitution des terres (URT) manipule les chiffres du phénomène et constate également le chiffre désolant de terres ayant été restituées aux familles (El Colombiano, 2013).

Les chiffres témoignent d’une évidente frustration en plus d’autres problèmes comme la validité de la loi pour dix années (c'est-à-dire pour les sept prochaines années), loi qui favorise les grands projets économiques agro-industriels et minéraux tout en faisant augure de bonne foi exempte de culpabilité. Mais sont plus encore désolantes les contraintes financières du fond de réparation et de restitution liées au principe de viabilité budgétaire, constituant un frein à l’honneur de la mémoire des victimes. Ces dernières sont de nouveau les victimes d’une loi qui cherche peu à stabiliser le contexte dans lequel elles vivaient avant que la violence vienne radicalement changer leur vie. Nous assistons infailliblement à un pillage légalisé.

Original . http://palabrasalmargen.com/index.php/articulos/nacional/item/la-restitucion-de-tierras-en-la-ley-1448-legalizacion-del-despojo?category_id=138

 

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Consejo Nacional de Política Económica y social, 2011. Plan de Financiación para la sostenibilidad de la ley 1448 de 2011, Bogotá, 2012. Disponible en: http://ictj.org/ictj/docs/Ley1448/Conpes-3712-ley-de-victimas.pdf

Comisión Colombiana de juristas. II Informe sobre la implementación de la ley 1448.

Programa para el Desarrollo de las Naciones Unidas PNUD, 2011. Colombia Rural razones para la esperanza. Disponible en: http://planipolis.iiep.unesco.org/upload/Colombia/Colombia_NHDR_2011_resumen.pdf

RESTREPO, J y BERNAL, A. LA CUESTION AGRARIA. Edición Debate, 2014.

Auteur.trice
Ingrid Penagos