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05/10/2010
Quand répression rime avec profits Publié dans Le Caillou dans le soulier, no7 Dans une édition précédente de la Piedra en el Zapato, j'avais écrit un article sur la compagnie canadienne Petrobank Energy and Resources Ltd qui exploite des gisements pétroliers et gaziers en Colombie[ [« La compagnie canadienne Petrobank et son implication dans les crimes d’État en Colombie », La Piedra en el Zapato, no 4, mars 2008.]]. Mon objectif était de sortir de l'ombre un exemple flagrant du néocolonialisme qui s'enracine profondément en Colombie et duquel profitent fièrement les capitalistes canadiens. Dans cet article, je présentais brièvement les opérations de la Petrobank en Colombie, en plus de montrer comment elle a su profiter de modifications fiscales du secteur des hydrocarburants et d'une répression violente contre la population civile dans les régions du pays où elle opère. Je voulais aussi mettre en lumière la collaboration permanente entre les autorités militaires colombiennes et la compagnie dans ses zones d'exploration et d'exploitation. Le présent article se veut donc une actualisation afin de suivre les traces d'une compagnie canadienne que l'on peut aisément qualifier de criminelle en raison de sa complicité avec le régime de terreur en Colombie. Mais voici d'abord une brève présentation de la filiale colombienne de la Petrobank. La filiale Petrominerales est une entreprise privée – dont 67 % des actions sont détenues par Petrobank – qui opère en Colombie depuis 1996. Elle possède des permis d'exploration et de production sur deux zones du pays, soient le bassin du Putumayo au sud, et les Llanos, à l'est de Bogota. La compagnie est active depuis quelques années déjà dans la région d’Orito dans le bassin du Putumayo. À cet endroit, la zone d'exploration est appelée ''Las Aguilas'' Block[Rapport de la compagnie Petrominerales pour le second trimestre de 2007 : [www.petrominerales.com (page 2).]], qui est étrangement le même nom donné à certaines structures paramilitaires qui opèrent dans plusieurs régions de la Colombie sous cette nouvelle appellation. Les troupes paramilitaires ''Aguilas Negras'' s’intègrent dans la stratégie de l'État colombien visant l'appropriation et le contrôle du Territoire. Ces brigades répressives irrégulières provoquent le déplacement massif des populations qui permet ensuite aux compagnies nationales et transnationales d’exploiter librement les terres et leurs ressources naturelles. Cette histoire de nom n'est certainement qu'un pur hasard mais la contre-réforme agraire s'opère véritablement en Colombie et elle se poursuit aux grands bénéfices des transnationales comme la Petrobank. Depuis mon dernier article, deux ans ont passé et les activités de la Petrominerales n'ont cessé de croître, et ce à une vitesse effrayante. En plus d’être entrée en phase production, elle a doublé ses effectifs en termes de superficie de territoire exploré et ses activités s'étendent maintenant au Pérou, pays andin voisin. Sur le site officiel de la compagnie, on peut d'ailleurs y voir l'enthousiasme avoué des dirigeants pour cette région du monde: La combinaison d'un régime fiscal de première qualité et d'un potentiel d'hydrocarburants prouvé sur de vastes bassins non-explorés fait de la Colombie et du Pérou une des meilleures places au monde pour explorer et produire des hydrocarburants.[Voir le site web de [Petrominerales ]] Dans ce climat de surexcitation (et bien sûr de répression), la Petrominerales n'a pas chômé et elle possède aujourd'hui 16 blocs qui constituent des zones spécifiques du pays où se retrouvent un ou plusieurs puits d’exploration. Au niveau des contrats d'exploitation, la compagnie possède un total de 728 425 hectares. [ [www.petrominerales.com ]] Il est d'autant plus frustrant de regarder ces chiffres en tenant compte du fait que la Colombie est plongée dans un contexte de pauvreté et d'inégalités sociales alarmant et que la question des terres est un élément fondamental au cœur du conflit social et armé qui fait rage dans ce pays. Plusieurs parlent d'une contre-réforme agraire, où des milliers de familles paysannes sont chassées de leurs terres chaque année alors que les surfaces dédiées aux projets agro-industriels augmentent sans cesse. Plusieurs communautés et organisations dénoncent la stratégie des monocultures de palme africaine, de caoutchouc, de bananes et autres, qui accaparent les terres les plus fertiles du pays alors que les communautés paysannes délaissent l'agriculture de subsistance de force ou par désespoir économique. Pendant que le gouvernement colombien et les autorités militaires protègent ouvertement les intérêts des compagnies, les paysans sont souvent limités dans leurs déplacements en raison de la militarisation et d'un contrôle accru sur les routes et dans les villages. Les espaces de commercialisation locaux sont détruits aux dépends des stratégies globales de productions vouées à l'exportation. L'industrie des hydrocarburants s'inscrit dans la même volonté du gouvernement ultra-néolibéral d'Alvaro Uribe Velez de développer des secteurs économiques stratégiques qui peuvent attirer les capitaux nécessaires à l'enrichissement d'une élite locale privilégiée. Il s'agit également de la volonté des capitalistes internationaux d'aménager la planète en un vaste marché où chaque pays se spécialise dans certaines productions spécifiques. Cette tendance pousse constamment à l'uniformisation des modes de vie et à la disparition de la diversité culturelle et sociale, que ce soit en Colombie ou ailleurs. C'est donc dans ce contexte économique que la filiale Petrominerales continue d'accroître ses activités dans le but d'enrichir ses actionnaires. Pour ce faire, la compagnie entend bien profiter de ses ressources et de son expertise dans le domaine du pétrole brut lourd (heavy oil) qui ouvre la porte à d'autres gisements forts alléchants pour ces magnats de l'or noir. Il s'avère que la Petrominerales veut sauter sur l'occasion et devenir le plus important joueur dans le domaine du pétrole brut lourd. Voici ce que l'on peut lire sur son site internet concernant une zone regorgeant de ce type de pétrole: Petrominerales est dans l'enviable position d'être un des premiers arrivants dans la région; nous avons été capables de sécuriser une large position en termes d'acres avec des engagements de travaux rationnels et des conditions fiscales hautement favorables. (...) Notre but est de hausser notre expérience géotechnique dans cette zone sous-explorée et d'être un meneur dans l'industrie émergente du pétrole brut lourd en Colombie.[ [www.petrominerales.com ]] Mais comment une compagnie avec de si grandes prétentions peut-elle s'approprier de vastes territoires et mettre de l'avant ses activités d'exploration ? Dans un contexte de conflit armé et de violente répression des mouvements sociaux, comment peut-elle agir si librement ? Une seule réponse s'impose : la collaboration étroite avec l'armée colombienne, incluant la stratégie paramilitaire qui la sous-tend. À cet égard, il est intéressant de consulter la sentence finale du Tribunal Permanent des Peuples qui a eu lieu en Colombie entre 2006 et 2008. Il s'agissait d'une vaste consultation populaire indépendante permettant aux gens et aux communautés affectées par la répression systématique de l'État colombien de venir témoigner des agressions qu'elles ont vécues. Basé sur les concepts du Droit International, le TPP colombien était axé principalement sur les entreprises transnationales et les Droits des Peuples. Après plusieurs mois de consultation, les juges ont rendu publique leur sentence finale basée sur les milliers de témoignages entendus dans les différentes régions de Colombie. On peut y lire que la plus grande proportion des violations de droits humains et des crimes contre l'humanité est attribuable à l'État colombien et ses forces armées régulières et irrégulières (paramilitaires). La sentence finale dresse un portrait fort dramatique concernant la situation des terres et des droits humains: L'exploration et l'exploitation pétrolière a provoqué le déplacement, l'expulsion ou la quasi-extinction d'une grande partie des communautés autochtones (UWAS, SIKUANES, MACAGUANES, CUIBAS, GUAHIBOS, BETOYES, BARI, COFANES, NASA, INGA, EMBERA, EMBERA CHAMÍ, SIONA, AWÁ, PASTOS, CAMSÁ, YANACONA, CAMENTZÁ) de leurs territoires ancestraux en raison de l'invasion et de la destruction de ces mêmes territoires.[Dictamen Final Audiencia Tribunal Permanente de los Pueblos, Colombia, 21-23 de julio de 2008, p. 16. [Disponible en ligne ]] D’ailleurs, le dernier rapport de CODHES sur le déplacement forcé, affirme que ce sont plus de 380 000 familles paysannes qui ont été dépouillées de 5,5 millions d’hectares de terres de 1999 à 2007. De plus, près d’un million de personnes se sont vu forcées d’abandonner la campagne et la production agricole entre 2005 et 2009. Cela signifie que la population rurale a diminué de 9% en 5 ans à cause de la répression, de la confrontation armée et du modèle de développement rural, passant de 10,3 millions à 9,3 millions de personnes![Boletín informativo de la Consultoría para los Derechos Humanos y el Desplazamiento, Número 76, Bogotá, 27 de enero de 2010. [www.codhes.org ]] Il est à noter que la filiale Petrominerales est citée dans la sentence finale du Tribunal Permanent des Peuples comme faisant partie des compagnies impliquées dans l'appropriation des richesses et la violation des droits humains en Colombie.1 Bien sûr, nous ne pouvons pas affirmer hors de tout doute raisonnable que la compagnie Petrominerales est responsable de tel crime contre l'humanité ou de tel déplacement forcé dans telle région ou à tel moment. Mais nous pouvons facilement faire les liens entre les différents éléments qui composent la réalité. D'un côté, les massacres et les déplacements forcés poussent des populations à fuir une région, et simultanément arrivent une compagnie pour exploiter les ressources dont regorge cette même région. Cette équation peut paraître simpliste à première vue mais les faits demeurent qu'une filiale de la compagnie canadienne Petrobank est active dans une région où là population locale est victime d’une répression militaire sauvage et qu’elle arrive à multiplier les profits dans un pays où les inégalités sociales et l'appauvrissement ne cessent d'augmenter. Devant ce constat, nous ne pouvons rester ni indifférents ni muets. Nous devons dénoncer les dirigeants de ces compagnies capitalistes qui profitent de la guerre pour enrichir leurs actionnaires. Devant leurs discours mensongers et trompeurs d'économie globale, de modernisation et de créations d'emplois, nous devons crier haut et fort Ya Basta !!! Nous voyons bien que la mondialisation capitaliste ne profite qu'à une infime minorité alors que la vaste majorité doit survivre dans la pauvreté et la précarité. Nous voyons bien que ce système ne peut pas être humanisé ni réformé. Appuyons les communautés colombiennes qui luttent quotidiennement contre l'imposition de ce modèle économique dévastateur. Leur lutte est aussi la nôtre pour le droit à la Vie, au Territoire et à l'Autodétermination !!!

Notes

  1. Les entreprises suivantes et leurs filiales ont été déclarées coupables par le TPP d’avoir encourager le paramilitarisme et les pratiques génocidaires en Colombia : Coca Cola, Nestlé, Chiquita Brands, Drummond, Cemex, Holcim, Muriel mining corporation, Glencore-Xtrata, Anglo American, Bhp Billington, Anglo Gold Ashanti, Kedhada, Smurfit Kapa – Cartón de Colombia, Pizano S.A. y su filial Maderas del Darién, Urapalma S.A., Monsanto, Dyncorp, Multifruit S.A. filial de la transnaciona Del Monte, Occidental Petroleum Corporation, British Petroleum, Repsol YPF, Unión Fenosa, Endesa, Aguas de Barcelona, Telefónica, Canal Isabel II, Canal de Suez, Ecopetrol, Petrominerales, Gran Tierra Energy, Brisa S.A., Empresas Públicas de Medellín, B2 Gold – cobre y oro de Colombia S.A
Auteur.trice
PASC