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15/01/2019

Les femmes organisent le premier procès du système de justice patriarcal

L’augmentation des taux d’impunité dans les affaires de violence à l’égard des femmes et ses liens avec le modèle judiciaire colombien a motivé la création du premier procès du système de justice patriarcale. Il s’agit d’un espace géré par plusieurs groupes de femmes des milieux ruraux et de la capitale, unies par une quête de justice féministe et par la volonté de construire des voies d’action commune, et ce, le plus rapidement possible.

La rencontre, qui a eu lieu le 10 décembre dernier, a bénéficié de la participation des congressistes Aida Abella, María José Pizarro et Alberto Castilla, ainsi que de l’intervention de femmes d’Arauca, de Bucaramanga, de Medellín et de Barranquilla. Elles ont dénoncé différentes institutions de l’État qui, par inefficacité, par incompétence ou par négligence, ne garantissent ni leur vie ni leur intégrité.

Angélica Beltrán, coordinatrice nationale de la Convergence de femmes pour l’action publique (Confluencia de mujeres para la acción pública) et l’une des responsables de l’espace, a rappelé que 96 % des cas de violence connus contre les femmes restent impunis. Cela dit, beaucoup d’autres ne sont pas dénoncés ou, s’ils se produisent sur les territoires qui relèvent de la compétence des autorités autochtones, ne sont pas traités par le système judiciaire colombien.

« Nous attribuons trois caractéristiques à ce système de justice : il est patriarcal, capitaliste et colonial », déclare-t-elle. Beltrán explique qu’elle peut reconnaître ces caractéristiques dans des cas très concrets : ce système de justice est patriarcal, car il est souvent, en réalité, plus au service des hommes que de la justice elle-même. Il est capitaliste, et de surcroît élitiste, car il tranche en faveur des hommes ou femmes des classes favorisées quand ces derniers violent les droits des classes populaires. Enfin, il est colonial dans les cas d’agression contre les femmes, leurs corps et leurs territoires.

Les meneuses de cette initiative fondent leur proposition sur la nécessité de construire une justice féministe qui ne soit pas synonyme de justice uniquement pour les femmes, mais qui soit fondée sur l’égalité sociale de tous les êtres, humains ou autres, en tenant compte de la diversité de sexe et de genre, c’est-à-dire une justice  au service de la dignité des femmes.

Au-delà de peines plus sévères, une transformation culturelle s’impose

Pour Beltrán, il existe un problème qui émane du modèle punitif de la justice colombienne, un problème de structure qui ne permet pas de progresser vers une justice féministe, parce qu’il tire ses origines d’un principe de vengeance. « Pour nous, la solution n’est pas de donner des peines de prison plus longues aux agresseurs, ce que fait le gouvernement actuel du président Duque. La solution pour vivre sans violence contre les femmes est de développer une culture contre la violence faite aux femmes, fondée sur la liberté et sur l’acceptation des différences », affirme-t-elle.

De plus, la militante assure que la justice doit être pédagogique. Il existe d’autres types de peines, de modes de conversations et de réflexion qui aident à rompre le cycle de l’agression typique associé au modèle punitif. Elle ajoute que les changements ne doivent pas seulement toucher aux agresseurs, mais aussi les fonctionnaires qui participent au processus. En de nombreuses occasions, ils n’ont pas une formation suffisante, ne sont pas suffisamment sensibilisés aux enjeux et finissent par revictimiser les femmes.

« Nous ne demandons pas seulement à l’État de reconsidérer son modèle, nous construisons aussi dans la pratique d’autres types de justice dont nous pouvons constater les résultats dans les actions publiques que nous menons en faveur des mouvements de femmes, grâce à des peines sociales et à des réseaux de soutien entre femmes », souligne Beltrán.

L’unité entre les femmes, une forme d'empowerment

L’un des éléments clés de cette proposition, selon les militantes qui la défendent, reste l’empowerment collectif, pour que les femmes, lorsqu’elles se trouvent dans une situation de violence, puissent se faire accompagner par d’autres femmes, par des organisations de femmes, par des féministes, par des personnes de toute la diversité sexuelle, etc.

« Quand nous sommes seules, nous sommes influencé par d’autres types de discours et d’idées, par la culpabilité. On se dit que c’est normal, que nous inventons des choses. Toutefois, lorsque nous rendons nos histoires publiques, c’est-à-dire lorsque nous parlons à d’autres qui vivent la même chose, nous pouvons prendre les moyens pour changer les choses », nous assure Beltrán.

Parmi ces moyens, il y a la Loi 1257 de 2008 et la Loi Rosa Elvira Cely, que nous devons connaître en les étudiant de manière individuelle, mais aussi grâce à la formation comprenant des mises en situation offertes par différents organismes et institutions. Les barrières qui nous en séparent doivent être rendues visibles afin que nous puissions les surmonter.

Original: http://www.contagioradio.com/justicia-patriarcal-mujeres-articulo-59166/

Auteur.trice
Contagio Radio