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10/09/2014

Les forces armées colombiennes, comptant 281 400 personnel militaire, sont les deuxièmes plus grandes dans toute l’Amérique latine, surpassées seulement par le Brésil.  Ajoutons à cela les 159 000 membres de la police nationale, une police militarisée qui se rapporte au Ministère de la défense.  En Colombie, il y a 6,2 soldats par 1000 habitants, un ratio presque quatre fois celui du Brésil.

L’augmentation fulgurante de l’extraction minière et des activités reliées à l’énergie en Colombie durant les dernières années a été accompagnée d’une militarisation massive des zones opérées par les secteurs miniers et énergétiques.  Le gouvernement de Colombie a créé, dans les dernières années, ce qu’on appelle les Bataillons de l’énergie, mine et transport. Leur croissance a accompagné la politique d'attraction des investissements étrangers dans le secteur des sociétés multinationales pour la mise en œuvre de la politique néolibérale extractive : la soi-disant « Campagne de l’énergie et des mines ».  Au début de 2011, il y avait 11 bataillons mais en 2014, il y en avait déjà 21.

Les bataillons de l’énergie et des mines comptent 80 000 hommes, composant 37% de toutes les forces armées de terre et presque 30% de toutes les forces armées.

La militarisation massive des zones extractives ne signifie pas une sécurité accrue pour les populations des alentours.  Censat Agua Viva et Mining Watch Canada ont averti qu’on observe 87% des déplacements forcés, 82% des violations des droits humains et des lois internationales humanitaires, et 83% des assassinats de leaders syndicaux dans les régions riches en ressources1.  Le but de ces unités, malgré ce qui semblerait raisonnable, n’est pas de procurer de la sécurité publique mais de protéger les investissements étrangers et l’extraction minière et d’énergie.

Plusieurs de ces bataillons sont localisés sur les terrains des compagnies ou des mines, comme dans le cas du Bataillon militaire 15, situé, depuis octobre 2011, dans les champs pétrolifères du Pacific Rubiales Transnational, à Puerto Gaitan, où la compagnie fournit également des véhicules et du combustible.  Ou encore le bataillon de transport énergétique numéro 8, situé dans les terrains et installations de Frontino Gold Mines dans la municipalité de Segovia, tel qu’indiqué dans les pages web du ministère de la défense.

La collaboration entre l’armée et les investisseurs est fluide.  Le colonel Jorge Arturo Matamoros Blanco2, directeur des opérations de l’armée, a affirmé que l’armée analyse les projets entrepris par les compagnies qui investissent et les assignent aux divisions militaires correspondantes pour leur protection.

Même si les autorités militaires l’ont toujours nié, il y a des preuves que la protection des compagnies d’extraction permet la négociation « d’accords » privés entre les entreprises extractives et les Forces armées, par lesquels les compagnies paient des larges sommes à l’armée en échange de sécurité et la possibilité de d’exécuter leurs plans.  Ces accords sont secrets mais ont vu le jour dans les médias à cause de journalistes d’investigation 3 ou par la divulgation éhontée des gestionnaires des compagnies eux-mêmes.4

Les communautés locales affectées voient les déploiements militaires avec méfiance car ils ne croient pas que leurs intérêts soient protégés par ces forces de sécurité gouvernementales.  Ils croient que ces troupes sont présentes pour permettre les activités extractives, qui vont contre le mode de vie traditionnel des communautés et l’environnement qui le rend possible.

De sérieuses violations des droits humains ont accompagné la présence de l’armée dans ces régions, tels que des viols de femmes et des exécutions extrajudiciaires de ceux qui s’opposent aux projets miniers.  Un des nombreux cas rapportés en septembre 2006 est le meurtre d’Alejandro Uribre Chacon, opposé à l’énorme projet minier de Kedhada SA, au sud de la province de Bolivar.  Il fut assassiné par les troupes du Bataillon anti-air de Nueva Granada Numéro 2 et présenté subséquemment comme un guerilla tombé au combat, 12 jours après avoir logé une plainte formelle du fait qu’il était persécuté par l’armée à cause de sa plainte contre la compagnie minière5.

Un autre cas significatif est relié à l’aide de l’armée pour faire entrer la Muriel Mining Corporation à Norte del Choco, où elle supportait les activités de la compagnie malgré une consultation publique frauduleuse, jugée telle par la Court constitutionnelle 6.  L’armée y a restreint la mobilité des habitants ancestraux à leurs terres et perpétré de sérieux abus et le déplacement interne des populations indigènes et Afro-colombiennes. 7

Ainsi, il est évident que même si ces unités militaires sont déployées dans des régions où le conflit avec la guerilla insurgente est le plus sérieux, ce qui est l’argument utilisé par le gouvernement pour valider leur existence, l’objectif-clé en est la défense des compagnies transnationales contre les droits territoriaux des communautés indigènes paysannes et Afro-colombiennes.  Cette activité provoque des conflits sociaux majeurs, des massacres et des déplacements forcés reliés directement à la politique invasive, en grande partie réalisée en collusion avec l’armée, les paramilitaires et les compagnies.

 

Notes

1 Pour plus d'informations, voir “Actores Armados Ilegales y Sector Extractivo en Colombia” by Frédéric Massé and Johana Camargo, CITpax-Observatorio Internacional sobre DDR y la Ley de Justicia y Paz. http://www.citpaxobservatorio.org/sitio/images/stories/Resumen_ejecutivo...

Censat Agua-Viva and Mining Watch Canadá. “Tierras y conflicto - Extracción de recursos, derechos humanos y la responsabilidad empresarial: compañías canadienses en Colombia”. September 2009, page 2.

2Col-Prensa-Nuevo Dia, 4 February 2014

3Oro y plomo. Semana 28 July 2009 dans http://www.semana.com/nacion/problemas-sociales/articulo/oro-plomo/105494-3.

4José Oro, Viceprésident de Gran Colombia Gold dans un documentaire fait par des journalistes français sur les mines en Colombie: 'We have a contract with the police, a contract with the army, a contract with the mayor's office' Langlois, Roméo and Mariani, Pascale, “Pour tout l’or de Colombie”, Woow & Canal + Production, 2011

5“Por ‘falso positivo’ con líder comunal llaman a juicio a cuatro militares”, in El Espectador, <http://www.elespectador.com/noticias/judicial/articulo-225504-falso-pos…;

6Jugement de la Cour constitutionnelle T-769/09 http://www.corteconstitucional.gov.co/relatoria/2009/t-769-09.htm

7'We have been forcibly displaced by Muriel Mining' in Comisión Intereclesial de Justicia y Paz, <http://justiciaypazcolombia.com/Estamos-en-desplazamiento-forzado&gt; (11.3.09).

Tomás Gisbert, chercheur au Centre Delàs for Peace Studies.

 María Jesús Pinto, chercheure et défenseure de droits humains

Auteur.trice
Tomás Gisbert & María Jesús Pinto