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05/04/2009

Des métis et des «afrodescendants» de Colombie luttent pour la récupération de leurs terres. Ils y sont revenus et ils y restent. Avec une rare violence, les habitants de collectivités du nord du Choco, au nord-ouest de la Colombie, ont été expulsés une dizaine de fois au cours des dix dernières années. Pour préserver leurs terres des monocultures de palme africaine, ils se battront jusqu'au bout. À la vie, à la mort.

Département du Choco, Colombie — Ce sont quelques cabanes de bois sur pilotis, suspendues au-dessus des terres inondées. À l'entrée de ce village entouré de barbelés, on a planté un grand panneau blanc. «Zona humanitaria, nueva esperanza», peut-on y lire. Cette poignée de maisons qui abritent environ une vingtaine de familles n'est pas un camp de réfugiés. Non. C'est la terre qu'ont reprise et décidé d'habiter les métisses de Nueva Esperanza, une communauté installée le long de la rivière Jiguamiando, dans une forêt tropicale du département du Choco, tout près de la frontière avec le Panama.

Pris en otages par la guerre civile colombienne, des paysans de partout en Colombie ont été forcés à l'exil par des groupes de paramilitaires, souvent avec la complicité de l'armée. Le département du Choco, où vit la plus grande communauté afro-colombienne du pays ainsi que des peuples d'autochtones et des métis, n'y a pas échappé. Plutôt inondées, leurs terres n'en sont pas moins fertiles. Pour le potentiel qu'elles offrent pour la culture de la palme africaine, elles ne cessent d'attiser la convoitise. C'est le cas des terres du Bajo Atrato, une zone baignée par les rivières Jiguamiando et Curvarado où vivent plusieurs collectivités maintes fois déplacées qui, depuis quelques années, se sont autoproclamées «zones humanitaires».

Principalement composée de métis, la communauté de Nueva Esperanza en fait partie. Elle a été déplacée plus d'une dizaine de fois en dix ans. Dans les villes, la forêt dense ou le long des rivières aux alentours, les familles s'échouaient là où elles le pouvaient. D'ailleurs, la terre où vit maintenant la communauté n'est pas exactement celle qu'elle occupait il y a un peu plus de dix ans, lorsque les mouvements de déplacement se sont intensifiés. Qu'importe. C'est leur terre et elle leur appartient désormais.

L'année 1997, celle de l'Opération Genesis lancée contre les Forces armées révolutionnaires de la Colombie (FARC), a été particulièrement marquante pour les habitants de la région. C'est le général Rito Alejo del Río qui y avait dirigé des troupes à l'assaut des guérilleros des FARC. L'Armée avait bombardé la région tandis qu'au sol, des paramilitaires avaient attaqué, pillé et massacré la population. Des milliers d'habitants du Bajo Atrato avaient dû fuir. Le général aujourd'hui à la retraite vient d'ailleurs d'être cité à procès pour avoir collaboré avec les paramilitaires.

Ayant finalement obtenu leurs titres de propriété, certaines collectivités se sont lentement réinstallées dans les années qui ont suivi l'attaque, mais l'accalmie fut de courte durée. Par un beau matin de 2001, des hommes en armes se sont présentés aux portes de Nueva Esperanza, accusant les habitants d'être de la guérilla. «Ils se sont mis à tirer sur nous. Sur les femmes enceintes, les enfants, les personnes âgées...», raconte Yunuari, une mère de famille dans la vingtaine. Avec sa petite famille, elle s'est réfugiée dans la forêt et y est restée tapie quelques jours dans l'espoir de retourner chez elle chercher des vivres et des casseroles. Mais les petites cabanes de bois du village ont été réduites en cendres. Elle s'est alors résignée à partir mais s'est promis qu'elle reviendrait. «Quand on est finalement revenus, il y avait des champs de palme partout. On se sent plus en paix, mais la situation est encore tendue», insiste la jeune femme à l'épaisse crinière de jais.


La paradis de la palme


Les habitants des zones humanitaires de la région sont unanimes: la palme africaine est l'emblème de tous leurs maux. Les propriétaires terriens y font des affaires d'or. La moindre parcelle de terre vendue sous pression ou prise a été exploitée. Tant et si bien que cette région du Bajo Atrato s'est mutée en une vaste monoculture de palme africaine, de laquelle on tire une huile vendue à fort prix sur les marchés mondiaux. Selon les statistiques de l'Institut colombien de développement rural datant de 2004, la presque totalité des plantations de palmes de la région se trouve sur des terres appartenant aux Afro-Colombiens et la plupart des monocultures ont été financées par l'État.

Présente dans de nombreux produits domestiques et alimentaires, l'huile de palme sert également à faire du biocarburant. Dans cette région au nord du Choco, les habitants n'en ont que faire. Les expulsions pour des raisons politiques, Erasmo Sierra n'y croit tout simplement pas. «Ils veulent nos terres pour planter de la palme africaine», note ce dirigeant de communauté. «Mais ça, n'allez pas le dire au gouvernement parce qu'il vous traitera de menteur. Et ici, la vérité tue.»


Le droit à la paix


En plus de cultiver la terre selon leurs traditions ancestrales, les Afro-Colombiens se sont créé des réserves naturelles de biodiversité, avec l'appui de la Commission interecclésiale de justice et paix, un organisme de défense des droits humains. Les zones humanitaires qu'ils ont érigées sont également reconnues par le droit international humanitaire pour les populations civiles vivant au sein d'un conflit armé. Mais pour assurer une présence internationale auprès des collectivités afro-colombiennes et soutenir le processus de récupération de la terre, la Commission travaille notamment en collaboration avec le Projet accompagnement solidarité Colombie (PASC).

Fondé en 2004 à Montréal, cet organisme d'accompagnement fait également de l'éducation populaire. «Si elles en font la demande, on aide les collectivités à récupérer leur mémoire, à apprendre à lire et à écrire. On veut donner des outils à ces gens pour mieux comprendre la réalité qui les entoure», explique Maxime Comeau, travailleur humanitaire pour le PASC.

Car le spectre de la violence plane toujours. «Le danger existe. L'armée est là et ce n'est pas rassurant quand on sait qu'il y a des liens entre elle et les incursions illégales. Et les fils barbelés, ça ne protège pas des mortiers», conclut le jeune homme.

 

Le Devoir, 4 avril 2009.

http://www.ledevoir.com/international/actualites-internationales/243832…

Auteur.trice
Lise-Marie Gervais