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18/04/2006
Le 8 avril 2006, accompagnées par la commission de Justicia y Paz et par des organisations étrangères, des habitants et habitantes du bas Atrató ont fondé une nouvelle Zone Humanitaire proche du site de Brisas dans le Curvaradó. Ce nouvel emplacement se construit au milieu des plantations de palme africaine, sur la terre de Don Enrique Petro, qui défend vaillamment une partie de sa terre contre la voracité des entreprises palmicultrices. Faisant acte de mémoire, des membres de la communauté racontent leur histoire. Depuis 1996, les entreprises sont arrivées dans la région. Accompagnées de paramilitaires ils réunissaient les familles et leur proposaient d'acheter leur terre. Les hommes armés avertissaient qu'ils négocieraient avec les propriétaires mais que s'ils refusaient ils négocieraient alors avec leurs veuves. Certains ont vendu sous la pression, mais la majorité ont été déplacés de force par les opérations militaires et les massacres. Ils falsifièrent des documents de vente de celles et ceux qu'ils avaient expulsées. Après la violence contre les personnes, s'en suivit la violence contre la nature. Les plantations industrielles mettent en péril la biodiversité et a envahit jusqu'à un cimetière ou reposent les ancêtres des communautés afrodescendantes. À leur arrivée sur le site de la Zone humanitaire, les paysans coupèrent les premières palmes pour affirmer leur Droit à la terre. Il n'y avait rien de bizarre, rien d'étrange, aux yeux de tous et toutes le retour dans le Curvarado est quelquechose d'extraordinaire. Le fait de rompre le quotidien para-institutionnel n'est pas seulement un acte d'audace, c'est aussi un acte libertaire. La marche pour une terre abandonnée peut permettre d'éliminer la peur, de faire de l'utopie une réalité, de passer de l'état de nécessité à la construction d'un projet de vie. Purification collective, socialisation des peurs, amour pour ce qui a été perdu, et un éternel sentiment de fouler la terre en suivant les traces des ancêtres. La marche de ceux et celles qui retournent dans le Curvarado a commencé le 8 avril à 14h00. Le tout commença du cimetière de Belen de Bajira jusqu'au poste de la police nationale, site de souvenirs douloureux comme l'enlèvement d'Orlando Valencia, un afrodescendant qui a ensuite été assassiné par les structures de type paramilitaire. Belen de Bajira, une municipalité qui fait toujours l'objet d'un litige quant à savoir s'il est situé dans le département du Choco ou dans celui d'Antioquia. Mais ce qui est certain, c'est que très près de là passe l'autoroute panaméricaine, que la municipalité est située à 1h45 de route d'Apartado sur une route non asphalté, et que les rues en perdition, la misère évidente, contraste avec l'investissement massif dans le projet de palme africaine. Lors de cette marche nous avons parcouru les traces de la tradition, nous avons senti la routine de la terreur dans l'âme, la routine de l'oubli dans une cantine où s'étouffe l'existence, et celle d'une pesanteur constante qui endort la sensibilité. Plus de 200 personnes sont venues de San Pedro de Urabá, de Necoclí, de Medellín, de Chigorodó, de Turbo, d'Apartado, de Medellín, de Cali, de Villavicencio, de Belén de Bajirá, tous et toutes ont fait éruption avec ce premier pas dans le processus de retour dans le curvarado ce samedi 8 avril 2006. Dans un silence absolu, avec la sobriété de l'autorité, qui ne se légitimise par à travers le pouvoir mais plutôt par les destructions générées au nom de l'État de Droit, nous avons marché, nous qui tentions d'entrer sur notre Territoire ce jour là. Nous sommes victimes de crimes d'État, de crimes de guerre, de violations à nos droits fondamentaux et d'infractions contre le Droit Humanitaire dans le Curvarado. Un à un, une à une, en silence, au milieu de la pensée unique, de l'irationalité, nous avons marché. La parole n'était pas un cri, ni un charabia, ni une consigne, c'était un language de dignité. Nous avons marché en silence au milieu des structures criminelles, eux seuls avaient les uniques armes, les paroles sales et leur propre indignité. Marchant au milieu des témoignages muets qui détachèrent les paroles de l'âme, marchant au milieu de la soumission, des larmes tombèrent. Nous avons marché afin de retourner sur nos terres, un nombre significatif de jeunes, de femmes, accompagnées d'églises chrétiennes des Etats-Unis, d'organisations solidaires d'Europe et d'Amérique latine, ainsi que d'organisations colombiennes de défense des Droits Humains. Pas à pas, à travers les principales intersections de Belén de Bajira se sont reconstruits des images, des voix, ont été exhumés des rêves. Plusieurs passants disaient " enfin quelquechose de nouveau " ou " mon Dieu ils vont vous tuer, si ce n'est pas aujourd'hui ce sera plus tard. Dieu aidez-les. " À mesure que nous marchions à travers maisons et commerces, émergeaient de nouveaux visages, de nouvelles voix; " ils ne peuvent pas les accuser de guérilléros, ils font partie des notres et réclament ce qui est juste, veulent récupérer ce qui leur appartient. " Les conducteurs de bus, au milieu des paroles entrecoupées exprimèrent " vous retournez sur vos terres, c'est votre droit, ils vous les ont volées. " Devant la station de police de Belén de Bajira, les paysans et paysannes montèrent dans des bus et vers 14h30 arrivèrent à Brisas. Au milieu des mémoires bien vivantes, commença l'attente, la tension et l'incertitude. Juste au moment où arrivèrent les gens participant au retour, la plate-forme qui permet de traverser la rivière et qui est normalement un service public, s'est étrangement brisée. Un mensonge peu crédible, à l'image des autorités officielles qui prétendent occulter le redéploiement du pouvoir paramilitaire. Quelques minutes avant la fermeture brusque de la plate-forme, sont traversés trois paramilitaires du bloque Elmer Cardenas qui sont aux services de l'entrepreneur connu Jaime Sierra. Selon des témoins qui étaient à Brisas vers 13h00, les paramilitaires se déplaçaient à bors d'une camionnette de couleur bleu. Il s'agissait de Nelviz Hernandez alias El Mocho, un autre homme alias el Mona et un troisième alias El Negrito. Ils transportaient des armes longues. Cette réalité a fait émergé la version que la bienvenue pour ceux et celles qui reviennent serait un massacre. Alors vers 19h00, les paysans et paysannes furent obligées de retourner à Belén de Bajira où de manière spontanée, un lieu sacré fût converti en refuge pour la nuit. La solidarité des appauvris s'est manifesté à nouveau. Un simple temple fut un lieu de rassemblement, un espace pour les paroles et sentiments, pour réitérer le retour sur le Territoire qui depuis cet après-midi là représente l'objectif légitime. Le lendemain matin, 9 avril à 8h00, nous sommes repartis de Belén de Bajira avec 2 bus et 2 véhicules ainsi que la présence de membres de la Defensoria del Pueblo et du ministère de l'intérieur. Autour de 10h50, la caravane est passée devant Pavarandó, village où l'armée nationale a forcé à vivre près de 5000 afrodescendantEs et métisses du Bajo Atrató pendant l'opération Génésis en avril 1997. Dans ce village furent aperçu 12 unités militaires armées dont un `civil` armé qui demandait aux gens quelle était leur destination. Vers 12h00, comme pour rompre la monotonie, nous sommes arrivé à la terre d'Enrique Petro. Sur la parcelle de ce dernier qui représente 150 hectares, 120 hectares ont été illégalement semé de palme africaine et il a réussi à protéger 30 hectares où il cultive la yucca, le platano, le mais, le riz, la papaye. Comme exercice d'affirmation de nos droits, nous, 20 personnes représentant initialement 40 familles, avons initié la création de notre Zone Humanitaire du Curvaradó. Également, nous avons créé 5 zones de protection de la Biodiversité comme affirmation de notre dignité face à l'érosion de l'État de Droit. Nous avons ensuite installé notre bannière qui permet d'identifier la Zone Humanitaire. Ce fut un acte légal et légitime de liberté, ce fut un baptême, la naissance d'une nouvelle vie. Source : Justicia Y Paz www.justiciaypazcolombia.org
Auteur.trice
Justicia y Paz