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31/10/2011

En 2010-2011, les défenseurs des droits de l’Homme en Colombie ont à nouveau été gravement attaqués et plusieurs ont été assassinés. De même, les intimidations, les menaces et les harcèlements contre les défenseurs et les organisations de défense des droits de l’Homme ont été constants. Les défenseurs œuvrant pour la justice, la vérité, la réparation et la restitution des terres, les dirigeants autochtones et paysans, les défenseurs de l’environnement, les dirigeants syndicaux ou les membres de syndicats, les défenseurs des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuelles (LGBTI), ainsi que les organisations et les journalistes qui dénoncent les violations des droits de l’Homme, sont parmi les groupes de défenseurs les plus touchés. [ téléchargez la version complète du rapport annuel 2011 en PDF]


Contexte politique


Le 30 mai 2010, les élections présidentielles ont eu lieu en Colombie, après que la Cour constitutionnelle a décidé de déclarer inexécutable le projet de référendum visant à modifier une seconde fois la Constitution pour permettre au Président sortant, M. Álvaro Uribe Vélez, de se présenter de nouveau aux élections. Le vainqueur des élections a été le candidat du parti U (partido de la U), M. Juan Manuel Santos, qui a pris ses fonctions le 7 août 2010. Bien que M. Santos ait été ministre du Gouvernement sous le mandat de M. Uribe Vélez et qu’il soit du même parti que le Président sortant, son Gouvernement a promu une attitude plus respectueuse envers les autres branches du pouvoir public, tout particulièrement envers le pouvoir judiciaire et le travail de la Cour suprême de justice, cette dernière ayant continuellement été attaquée par M. Uribe Vélez. En matière de droits de l’Homme, le nombre de “faux positifs” – des exécutions extrajudiciaires attribuées pour la plupart à l’armée et durant lesquelles des civils non liés au conflit sont faussement présentés comme étant morts au combat – ont diminué depuis que leur existence a été révélée au grand public 1. En outre, la présentation et l’encouragement d’un projet de loi sur la réparation et la restitution des terres aux victimes ont été une autre avancée importante 2. Bien que ce projet de loi contienne diverses failles 3, il faut néanmoins souligner que c’est la première fois qu’un projet inclut les victimes des guérillas, de l’Etat et des groupes paramilitaires et prétend rendre leurs terres aux personnes expropriées par la force. Cependant, malgré l’importance de ce projet de loi, la Colombie est restée le deuxième pays du monde avec le nombre le plus élevé de déplacés 4 et la politique de restitution des terres a montré une absence de garanties de sécurité à ses bénéficiaires. En effet, certaines victimes qui ont essayé de retourner sur leurs terres ont été menacées voire assassinées, de même que les défenseurs qui ont accompagné les communautés dans le processus de restitution.

Par ailleurs, en 2010, les jugements contre plusieurs fonctionnaires du Département administratif de sécurité (Departamento Administrativo de Seguridad - DAS) ont commencé. Ils sont accusés d’avoir participé à des délits contre des défenseurs, des journalistes, des syndicalistes, des membres de l’opposition politique, des magistrats et même des membres d’organisations internationales au travers d’activités d’espionnage, comme les écoutes téléphoniques, l’interception de courriers électroniques, le vol d’archives informatiques, le harcèlement, les mises en scène et même les homicides 5. Bien que ces procès soient un progrès en matière de droits de l’Homme, il restait de nombreux obstacles à franchir à fin avril 2011 pour établir la responsabilité des faits, notamment l’enquête peu poussée sur les liens présumés du DAS avec la Présidence de la République 6, autorité dont dépend directement le DAS et qui désigne son directeur.

De manière générale, le nombre de défenseurs des droits de l’Homme qui sont restés la cible continuelle d’assassinats, de menaces de mort, de harcèlements judiciaires et d’autres agressions est accablant. Le “Programme nous sommes des défenseurs” (Programa Somos Defensores) a rapporté que, en 2010, 174 agressions ont été commises à l’encontre de défenseurs des droits de l’Homme – dont 32 assassinats – et 168 contre des organisations de défense des droits de l’Homme 7. De plus, pendant le premier trimestre 2011, une augmentation alarmante des agressions contre des défenseurs et des dirigeants sociaux a été constatée en Colombie, avec 96 défenseurs agressés et 64 organisations sociales et de défense des droits de l’Homme attaquées, dont 68 menaces, 9 assassinats, 7 détentions arbitraires et 4 disparitions forcées 8.

 

Assassinats, menaces et harcèlement des défenseurs qui œuvrent pour le respect des droits des personnes déplacées et pour la restitution de leurs terres
 

Comme l’a montré le rapport de la haut commissaire des Nations unies pour les droits de l’Homme, le nombre d’assassinats, de menaces et d’actes de harcèlement envers les personnes qui luttent pour le respect des droits des personnes déplacées et la restitution de leurs terres a été particulièrement préoccupant 9. Plusieurs cas se sont produits dans le département de Sucre, où les membres du Mouvement des victimes des crimes commis par l’Etat (Movimiento de Víctimas de Crímenes de Estado - MOVICE) ont été la cible d’attaques constantes. Par exemple, M. Rogelio Martínez Mercado, dirigeant paysan et membre du MOVICE à Sucre, a été assassiné le 18 mai 2010, tout comme M. Eder Verbel Rocha, également membre du MOVICE, le 23 mars 2011. Fin avril 2011, les deux assassinats restaient impunis. En outre, Mme Ingrid Vergara, dirigeante d’une communauté de personnes déplacées et porte-parole du MOVICE à Sucre, et M. Juan David Díaz Chamorro, membre du même siège du MOVICE, ont continué à recevoir des menaces en 2010 et 2011, sur leur messagerie électronique, dans leur boîte aux lettres et par téléphone. De plus, M me Ingrid Vergara et sa famille ont été attaquées, suivies et agressées à plusieurs reprises en 2010 et 2011. Elles ont porté plainte mais fin avril 2011, les enquêtes n’avaient pas abouti. Après avoir reçu des menaces le 9 avril 2011, M. Juan David Díaz Chamorro s’est vu contraint de quitter le pays avec sa famille.  Fin avril 2011, M. Carmelo Agámez, secrétaire technique du MOVICE à Sucre, était encore détenu arbitrairement dans la prison de Sincelejo, dans laquelle il se trouve depuis le 15 novembre 2008, victime d’une mise en scène judiciaire dans lequel il a été accusé de “réunion à but délictueux”10. Par ailleurs, le 23 mai 2010, M. Alexander Quintero, président de l’Association des assemblées d’action communale de l’Alto Naya (Asociación de Juntas de Acción Comunal del Alto Naya) et coordinateur de l’Association des victimes du massacre de l’Alto Naya (Asociación de Víctimas de la Masacre del Alto Naya )11, a été assassiné. Il était l’un des dirigeants les plus visibles du processus de recherche de la vérité, de la justice et de réparations pour les victimes de ce massacre. Fin avril 2011, l’assassinat de M. Quintero restait impuni. De même, le 24 novembre 2010, M. Óscar Manuel Maussa Contreras , l’un des dirigeants de la Coopérative des travailleurs agricoles de Blanquicet (Cooperativa de Trabajadores Agropecuarios de Blanquicet - Cootragroblan) qui luttait pour la restitution des terres, a été assassiné dans la municipalité de Turbo, département d’Antioquia12. Fin avril 2011, son assassinat restait également impuni. En outre, en février 2010, la Corporation Sembrar (Corporación Sembrar), une organisation qui offre des conseils juridiques et accompagne les communautés qui veulent défendre leurs territoires et récupérer leurs terres dans des régions au sud de Bolívar, au nord de Tolima, à Catatumbo et à Nariño, a été harcelée. Le 14 avril 2011, deux hommes non identifiés ont pénétré dans le domicile de Mme Zoraida Hernández Pedraza, présidente de la Corporation Sembrar et porte- parole du MOVICE, alors qu’elle s’y trouvait avec sa famille. Une plainte a été déposée mais fin avril 2011, les enquêtes n’avaient pas progressé.  Auparavant, le 9 juin 2010, des membres de l’Armée de libération nationale (Ejército de Liberación Nacional - ELN) ont séquestré Mmes Nohora Guerrero, Lizbeth Jaime et Mónica Duarte, défenseures des droits de l’Homme de la Fondation progresser (Fundación Progresar), et Mme María Angélica González, fonctionnaire gouvernementale du Programme d’attention aux communautés en danger de la vice-présidence de la République dans le département de Norte de Santander. Les défenseures se trouvaient dans la région dans le cadre d’un travail social et communautaire à caractère interinstitutionnel afin de prêter attention à la population déplacée en raison du conflit armé, revenue sur ses terres ou risquant d’être déplacée. Les quatre défenseures ont été libérées le 22 juillet 2010.
 

Assassinats, disparitions et harcèlement judiciaire de dirigeants autochtones et de défenseurs de l’environnement
 

Les défenseurs des communautés autochtones et les défenseurs des ressources naturelles ont été constamment victimes de violences en Colombie, parce que leurs territoires et leurs lieux de travail se trouvent souvent aux mêmes endroits où opèrent des groupes armés. Leur travail se retrouve en conséquence stigmatisé par ces derniers. La situation des dirigeants de différentes communautés autochtones est alarmante dans plusieurs régions de la Colombie. En 2010, en l’espace d’un mois, au moins quatre dirigeants autochtones provenant de différentes communautés ont été assassinés. Le 27 juillet 2010, à Riohacha, le dirigeant autochtone wayúu M. Luis Alfredo Socarrás Pimienta a été tué. Il avait été le meneur de son peuple au cours de plusieurs manifestations protestant contre la situation de leurs droits individuels et collectifs et il avait participé à deux élections en tant que candidat à la mairie de Manaure13. Le 13 août 2010, Mme Carmen Elisa Mora Uncacia, du peuple u’wa, coordinatrice du bureau des affaires autochtones de la municipalité de Saravena dans le département d’Arauca, a également été assassinée 14. Peu après, le 14 août 2010, M. Jaime Reyes, du peuple sikuani, membre de la réserve de la communauté autochtone de Parreros et du conseil autochtone La Esperanza (Cabildo La Esperanza), a été assassiné dans la municipalité de Tame, département d’Arauca15. Le 26 août 2010, M. Ramiro Inampues et sa femme Mme María Lina Galíndez, du peuple pasto, ont été enlevés. Leurs corps sans vie ont été retrouvés quelques jours plus tard près du sentier El Corso, dans la réserve autochtone de Guachucal du département de Nariño. M. Inampues était conseiller municipal de Guachucal, ex-gouverneur de la réserve autochtone de Guachucal et fondateur de l’Ecole des droits du peuple pasto (Escuela de Derecho Propio del Pueblo de los Pastos), qui visait à promouvoir et à défendre les droits des populations autochtones pastos. De par leurs nombreuses activités, M. Inampues et sa femme avaient dénoncé la présence de paramilitaires dans la région. Le 14 octobre 2010, M. Rodolfo Maya Aricape, membre du Réseau de communication (Tejido de Comunicación) et du Conseil autochtone Lopez Adentro (Cabildo Indígena de López Adentro), a été tué chez lui, dans le département de Cauca. M. Maya Aricape était connu pour avoir manifesté contre les groupes armés qui opèrent sur les territoires autochtones16.

Le 10 avril 2010, bien que la Constitution et les lois de Colombie stipulent que les communautés autochtones ont le droit d’avoir leurs propres juridictions pour les délits et crimes commis sur leurs territoires ou par leurs membres, M. Feliciano Valencia, porte-parole du Groupe de résistance sociale et communautaire (Minga de Resistencia Social y Comunitaria) et membre du Conseil régional autochtone du Cauca (Consejo Regional Indígena del Cauca - CRIC), a été arrêté pour “séquestration aggravée” et “lésions”. Ces accusations se fondent sur la capture et le jugement, selon les us et coutumes des autorités autochtones, d’un chef militaire qui avait infiltré la “Minga”. Malgré la libération le 12 avril 2010 de M. Valencia, un procès était toujours ouvert contre lui à fin avril 2011. Il existait également un mandat d’arrêt émis pour les même faits contre Mme Aída Quilcué, ancienne conseillère supérieure du CRIC, porte-parole de la Minga et l’une des quatre nominées au prix Martin Ennals pour les défenseurs des droits de l’Homme 2010, ainsi que contre M. Daniel Piñacué, gouverneur du Conseil de la communauté de Calderas, dans la municipalité d’Inzá, département du Cauca, et contre deux autochtones, MM. José Daniel Ramos Yatacue et Mario Yalanda Tombé. Par ailleurs, le 17 février 2011, Mme Sandra Viviana Cuéllar Gallego a disparu alors qu’elle allait de Cali à Palmira. Cette ingénieure environnementale travaillait à la protection des grottes et des zones humides, à la défense des territoires menacés par les plantations forestières et à la promotion de la participation équitable des communautés locales dans les décisions relatives à l’environnement qui les touchent. Le 19 février, certaines de ses affaires ont été retrouvées mais elle était toujours portée disparue à fin avril 2011. Par la suite, M. Hildebrando Vélez, défenseur de l’environnement ayant mené des recherches sur la disparition de Mme Cuéllar Gallego, a été menacé de mort sur son téléphone portable en mars 2011 et le 9 avril 2011, deux ordinateurs portables, un disque dur externe et une clé USB contenant des informations sur la disparue lui ont été dérobés17. Il a porté plainte pour les menaces et le vol mais fin avril 2011, les enquêtes n’avaient conduit à aucun résultat.

 

Assassinats de dirigeants syndicaux et de membres d’organisations syndicales
 

En 2010 et 2011, l’activité syndicale a encore comporté de grands risques. En 2010, les enseignants syndiqués ont notamment été victimes d’une série d’agressions : sur les 46 syndicalistes assassinés en 2010, 25 étaient des enseignants18. C’est ainsi qu’au moins sept enseignants d’Antioquia ont été assassinés, dont M. Ibio Efrén Caicedo, membre de l’Association des instituteurs d’Antioquia (Asociación de Institutores de Antioquia - Adida), le 19 juin 201019. De même, M. Manuel Esteban Tejada, enseignant de l’Institution éducative “Palma Soriana” (Institución Educativa “Palma Soriana”), de la municipalité de Planeta Rica, département de Córdoba, et membre de l’Association des maîtres de Cordoba (Asociación de Maestros de Córdoba - ADEMACOR), a été assassiné le 10 janvier 2011 ; le 30 janvier 2011, M. Humberto de Jesús Espinoza Díaz, affilié au Syndicat des éducateurs de Risaralda (Sindicato de Educadores de Risaralda - SER), enseignant et directeur de l’Institut agricole de Mistrato (Instituto Agrícola Mistrato) de la municipalité de Mistrato, département de Risaralda depuis 1994, a été assassiné à son tour. Le 5 février 2011, M. Carlos Alberto Ayala, professeur et membre de l’Association des éducateurs de Putumayo (Asociación de Educadores del Putumayo - ASEP), a lui aussi été assassiné 20. Fin avril 2011, ces crimes restaient impunis.


S’ajoutant aux assassinats d’enseignants, des syndicalistes de divers secteurs ont également été tués en 2010 et 2011. Ainsi, M. Francisco Atonio Abello Rebollo, membre de la sous-direction de Ciénaga du Syndicat national des travailleurs del’industrie agro-alimentaire (Sindicato Nacional de Trabajadores de la Industria Agropecuaria - SINTRAINAGRO), a été assassiné après avoir participé avec 185 employés, à la grève réalisée entre décembre 2009 et janvier 2010 dans l’optique de faire reconnaître le SINTRAINAGRO et d’obtenir la signature d’une convention collective de travail21. Le 5 juin 2010, M. Hernán Abdiel Ordoñez Dorado a, à son tour, été assassiné. Il était le procureur du conseil de direction de l’Association syndicale des employés de l’Institut national pénitencier et carcéral (Junta Directiva de la Asociación sindical de empleados del Instituto Nacional Penitenciario y Carcelario - ASEINPEC) de la ville de Cali. Il semblerait que la cause du crime soit liée à ses dénonciations relatives aux cas de corruption du personnel de direction de la prison pour femmes de cette ville. M. Ordoñez Dorado avait été victime de menaces avant sa mort, mais la protection que la Centrale générale des travailleurs (Central General de los Trabajadores - CGT) avait instamment requise ne lui avait pas été accordée. En outre, le 17 juin 2010, M. Nelson Camacho González, membre de l’Union syndicale ouvrière de l’industrie du pétrole (Unión Sindical Obrera de la Industria del Petróleo - USO), a été assassiné22. Ces assassinats étaient toujours impunis à fin avril 2011.

 

Assassinats et menaces de défenseurs des droits des personnes LGBTI


En 2010 et 2011, les défenseurs des personnes lesbiennes, gays,bisexuelles, transgenres et intersexuelles (LGBTI) ont encore été les cibles d’actes de violence et de stigmatisation. Le 17 mars 2011, le transgenre John Edison Ramírez Salazar (Gabriela) a été assassiné dans la zone rurale de la municipalité de Pasto. Il travaillait pour la reconnaissance des droits de l’Homme de la population LGBTI dans la ville de Pasto, dans le département de Nariño, et il était membre de la Fondation des personnes transgenres du sud (Fundación de Género Trans del Sur), une organisation non-gouvernementale faisant partie de la Table ronde pour le travail avec les personnes différentes à cause de leur orientation sexuelle et leur identité de genre à Pasto (Mesa Técnica para el Trabajo con Personas Diversas por Orientación Sexual e Identidades de Género de Pasto)23. Ce crime s’ajoute aux menaces de “nettoyage social” de la communauté LGBTI de Pasto, reçues le 13 juillet 2010 par plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme qui font partie de la table ronde citée précédemment, dont la Fondation diversité (Fundación Diversidad), l’Association des femmes qui aiment les femmes (Asociación de Mujeres que Aman Mujeres - AMAME), “Jamais homophobe” (Homofobia Nunca), “Conbocas”, “Polo de Rosa”, la Fondation arche de Noé (Fundación Arca de Noé), la Fondation développement et paix (Fundación Desarrollo y Paz - FUNDEPAZ) ainsi que des institutions publiques comme l’Institut départemental de la santé de Nariño (Instituto Departamental de Salud de Nariño - IDSN) et le bureau pour le genre et les droits de l’Homme de la mairie de Pasto. Les menaces ont été envoyées après la fin de la programmation de “Premières parenthèses culturelles pour la citoyenneté LGBTI”, durant laquelle diverses activités de sensibilisation sur le respect des droits de la population LGBTI ont été réalisées. Fin avril 2011, les enquêtes sur l’assassinat du transgenre John Edison Ramírez Salazar (Gabriela) et les menaces contre les organisations LGBTI de Pasto n’avaient connu aucune avancée.
 

Intimidations récurrentes des défenseurs et de leurs organisations
 

En 2010 et 2011, plusieurs défenseurs et organisations de défense des droits de l’Homme ont été victimes de menaces collectives et individuelles par le biais de messages électroniques envoyés en masse, engendrant un climat de terreur dans la communauté des défenseurs des droits de l’Homme. De nombreux messages reçus ont été anonymes, mais d’autres ont été signés par les groupes paramilitaires appelés les Aigles noirs ( Águilas Negras) ou les Rastrojos-Commandos urbains ( Rastrojos-Comandos Urbanos). Par exemple, en avril 2010 et en février 2011, plus de 60 organisations de défense des droits de l’Homme, des droits de la femme, des syndicats, des mouvements de victimes, des dirigeants et collectifs autochtones et d’origine africaine et des organisations qui luttent contre l’impunité, entre autres, ont reçu des menaces dans leur messagerie électronique. La majorité des messages cherchaient à relier le travail des défenseurs aux actions de la guérilla et à les menacer de mort. En outre, plusieurs journalistes indépendants qui dénoncent les violations des droits de l’homme ont été inclus parmi les destinataires de ces messages, dont Mme Claudia Julieta Duque et MM. Hollman Morris, Eduardo Márquez, Daniel Coronell et Marcos Perales Mendoza. Le bureau du procureur s’est engagé à enquêter sur ces menaces, mais les enquêtes n’avaient fait aucun progrès à fin avril 2011.

S’ajoutant aux menaces, les défenseurs et leurs organisations ont été les cibles de diffamations à l’égard de leur travail. Par exemple, par le biais d’articles de presse, de vidéos et de programmes radiodiffusés, la Commission inter-ecclésiale de justice et paix (Comisión Intereclesial de Justicia y Paz -CIJP), et particulièrement ses membres MM. Abilio Peña et Danilo Rueda, ont été accusés d’avoir mis au point une stratégie contre les communautés d’origine africaine de la région de Choco et de collaborer avec la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia - FARC). De même, le prêtre Javier Giraldo S.J., membre du Centre d’investigations et d’éducation populaire (Centro de Investigaciones y Educación Popular - CINEP) et défenseur reconnu des droits de l’Homme, a été accusé d’être un allié de la guérilla et du terrorisme. Le Collectif d’avocats José Alvear Restrepo (Colectivo de Abogados José Alvear Restrepo - CAJAR) a lui-aussi été victime de calomnies. Le 1er septembre 2010, plusieurs personnes s’autoproclamant comme membres du “Mouvement nationaliste et réserve active de Colombie” (Movimientos Nacionalistas y Reserva Activa de Colombia), dont des hommes politiques et des militaires à la retraite, se sont rassemblées devant le siège du CAJAR, dans le centre de Bogota. Leur objectif était de dénigrer le travail effectué par cette organisation dans la représentation des victimes des  violations des droits de l’Homme au cours des procès pénaux dans lesquels sont impliqués des membres des forces de l’ordre24.

Par ailleurs, le harcèlement judiciaire à l’encontre des défenseurs a encore été fondé sur des découvertes de preuves peu fiables menant à l’ouverture de procès pénaux. Par exemple, le 14 septembre 2010, M. David Ravelo Crespo, membre du conseil directeur de la Corporation régionale pour la défense des droits de l’Homme (Corporación Regional para la Defensa de los Derechos Humanos - CREDHOS) et dirigeant populaire émérite du Magdalena Medio, a été emprisonné pour “réunion à but délictueux” et “homicide aggravé” de l’ex-fonctionnaire de Barrancabermeja, M. David Núñez Cala, en 199125. Dans les mois précédant son arrestation, M. Ravelo avait été menacé à maintes reprises. Fin avril 2011, il restait détenu et le jugement à son encontre était en cours.
 

Dans ce climat de tension, c’est avec satisfaction qu’a été apprise la nouvelle de la libération du défenseur des droits de l’Homme dans la région de la Macarena, M. José Samuel Rojas, en février 2011. Il a en effet été disculpé de l’accusation de “rébellion” dont il avait fait l’objet, et qui lui avait valu plus de cinq mois de détention26. De même, le 9 avril 2010, les défenseurs du département d’Arauca, MM. José Evelio Gutiérrez, membre de l’Assemblée d’action communale du centre-ville de la municipalité d’Arauquita (Junta de Acción Comunal del casco urbano del municipio de Arauquita), José Del Carmen Sánchez, ancien président du comité de l’Association paysanne d’Arauca (Asociación Campesina de Arauca - ACA) dans la commune d’Arauquita, Edinson Palomino Banguero, membre fondateur du Comité permanent pour la défense des droits de l’Homme (Comité Permanente por la Defensa de los Derechos Humanos - CPDH) de la section d’Arauca et président du Syndicat des travailleurs de tous secteurs (Sindicato de Trabajadores de Oficios Varios -SINTRAOVA), filiale de la Centrale unitaire des travailleurs ( Central Unitaria de Trabajadores - CUT), ainsi que M. Omar Alarcón Castillo et Mme Damaris de Jesús Escorcia López, tous deux membres de l’ACA, ont été disculpés. Ces cinq défenseurs ont été détenus pendant plus de deux ans pour “rébellion”, “réunion à but délictueux” et “extorsion” ; M. Gutiérrez étant en plus accusé de “terrorisme”. Le juge les a déclarés innocents en raison d’un manque de preuves. Quant à M. Winston Gallego Pamplona, membre de la Fondation Sumapaz et du Collectif des droits de l’Homme “Graines de liberté” (Colectivo de Derechos Humanos Semillas de Libertad - CODEHSEL), qui était détenu depuis le 10 juin 2009 pour “rébellion”, il a été libéré le 25 mars 2011. Toutefois, fin avril 2011, le procès à son encontre n’était toujours pas clos.

 

Genève-Paris-New York, 24 octobre 2011: L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’homme, un programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), publie son 14ème rapport annuel sur la situation des défenseurs à l’occasion d’une conférence de presse organisée au siège des Nations Unies (New York).

Le rapport et le dossier de presse sont téléchargeables aux liens suivants :

Rapport : La version complète du rapport annuel 2011 en PDF

Dossier de presse : Media Kit (dossier de Presse)

 

 

Le rapport divisé par région :

Introduction et méthodologie

Afrique du Nord et Moyen Orient

Afrique subsaharienne

Amériques

Asie

Europe et Communauté des Etats Indépendants (CEI)

Annexes

Map Monde

[Le rapport est également disponible en anglais et espagnol]

Notes

1. Lors des deux mandats du Président Uribe, particulièrement entre 2004 et 2008, il est estimé que près de 3 000 exécutions extrajudiciaires ont eu lieu. Cf. Conseil des droits de l’Homme, rapport de la haut commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme sur la situation des droits de l’Homme en Colombie, document des Nations unies A/HRC/16/22, 3 février 2011. 2. Projet de loi n° 107 de 2010 (accumulé avec le PL 85/10 - Chambre). Le projet a été accepté par la Chambre des représentants et son approbation par le Sénat est attendue en 2011. 3. Les critiques se sont portées entre autres sur la non-participation des victimes à l’élaboration du projet de loi, l’amalgame des groupes ethniques malgré l’inclusion de réserves pour les peuples autochtones, les peuples d’origine africaine et les métis, et l’exclusion de certains groupes de victimes en raison des dates imposées, 1986 pour la réparation des victimes et 1991 pour la restitution des terres. Cf. Mouvement national des victimes de crimes commis par l’Etat (Movimiento Nacional de Víctimas de Crímenes del Estado - MOVICE). 4. Selon la Consultation pour les droits de l’Homme et le déplacement (Consultoría para los Derechos Humanos y el Desplazamiento -CODHES), un total estimé de 280 041 personnes (56 000 foyers) ont été déplacées en 2010. Le bureau du procureur général de la nation a confirmé l’enregistrement de 77 180 communautés déplacées de force. Selon le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), le conflit interne qui secoue la Colombie depuis 40 ans a contraint plus de 3,5 millions de Colombiens à fuir et de nouveaux déplacements sont enregistrés chaque jour. Cf. CODHES, Boletín informativo ¿Consolidación de qué?, no 77, 15 février 2011 et communiqué de presse du HCR, 3 décembre 2010. 5. En particulier, le 1er février 2010, le procès contre M. Jorge Noguera, ancien directeur du DAS, a été ouvert pour “homicide aggravé” et “réunion à but délictueux”, entre autres. 6. Le 12 octobre 2010, la commission d’accusation de la Chambre des représentants a pris la décision d’ouvrir une enquête au sujet des écoutes téléphoniques illégales réalisées par le DAS pour déterminer quelle était la responsabilité de l’ancien Président dans les faits. 7. Cf. rapport du “Programme nous sommes des défenseurs”, Informe 2010, sistema de información sobre agresiones contra defensores y defensoras de derechos humanos en Colombia - SIADDHH, 25 février 2011. 8. Cf. appel urgent du Programme nous sommes des défenseurs, 8 avril 2011. 9. Cf. Conseil des droits de l’Homme, rapport de la haut commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme sur la situation des droits de l’Homme en Colombie,  document des Nations unies A/HRC/16/22, 3 février 2011. 10. Cf. rapport annuel 2010. 11. Le massacre de l’Alto Naya a commencé le 7 avril 2001 à Timba, département du Cauca, avec l’incursion de quelque 400 paramilitaires du groupe AUC Bloc  Calima et l’accord des militaires de la brigade III de l’armée. Le massacre a duré plusieurs jours et a coûté la vie à plus de cent personnes, un autre millier de victimes a dû être déplacé et 60 personnes sont encore portées disparues. 12. M. Maussa Contreras avait été chassé de ses terres en 1996 et en 1997 et il a dû les quitter à nouveau en 2007 en raison de menaces de mort proférées par des paramilitaires. Une plainte a été déposée à cet effet, mais les enquêtes n’ont jamais abouti. 13. Cf. communiqué de presse n° 73/10 de la Commission interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH), 2 août 2010. 14.  Cf. communiqué de presse n° 89/10 de la CIDH, 1er septembre 2010. 15. Idem.
16. Cf. communiqué de presse n° R106/10 du rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la CIDH, 22 octobre 2010.
17. Cf. communiqué de presse de la Commission colombienne de juristes (Comisión Colombiana de Juristas - CCJ), 14 avril 2011. 18. Cf. communiqué de presse de la Confédération syndicale internationale (CSI), 24 janvier 2011, et communiqué de presse de la Confédération syndicale des  travailleurs et travailleuses des Amériques (Confederación Sindical de los Trabajadores y Trabajadoras de las Americas - CSA), 12 novembre 2010. 19. Cf. communiqué de presse de la CSI, 7 juillet 2010, et communiqué de presse de la CSA, 13 mai 2010. 20. Cf. communiqués de presse de la CSI, 3 et 15 février 2011. 21. Cf. communiqué de presse de la CSI, 3 juin 2010. 22. Selon la CSI, l’assassinat de M. Nelson Camacho González “vient s’ajouter à une série d’attentats et de menaces systématiques à l’encontre de dirigeants et de  travailleurs affiliés au syndicat du pétrole dans le cadre de conflits collectifs. Durant ces conflits, le syndicat a été confronté à la multinationale British Petroleum à  Casanare, à Ecopetrol, à l’oléoduc dans les Andes et à TGI dans les départements de Boyacá et de Casanare, outre des différends du travail chez Ecopetrol”. Cf.  communiqué de presse de la CSI, 2 juillet 2010.
23. La table ronde est un espace où les organisations de la société civile et les institutions publiques peuvent se rencontrer pour travailler en faveur de la promotion et la protection des droits de la population LGBTI de Pasto.
24. Ce fait a coïncidé avec la plainte pénale déposée contre l’ancien Président Uribe pour “trahison à la patrie” par le CAJAR, le 2 septembre 2010, devant la  Commission d’accusation de la Chambre des représentants. La plainte est fondée sur la découverte d’une souscription illégale d’un accord militaire entre les Etats-unis et la Colombie qui a été signé sous le mandat de M. Uribe et qui a été déclaré sans effet par ordre de la Cour constitutionnelle le 17 août 2010.
25. Les accusations se basent sur les versions des faits déclarées par un dirigeant paramilitaire, M. Mario Jaime Mejía, alias “Le boulanger”, arrêté en mars 1999 et  condamné par la justice ordinaire pour avoir été l’auteur de plusieurs massacres. Ce paramilitaire a, pour obtenir les bénéfices de la Loi de justice et paix, accusé M. Ravelo Crespo et M. Arístides Andrade, ancien membre du Congrès, d’être les commanditaires de l’assassinat de M. Núñez Cala.
26. Cf. CAJAR.


 
Auteur.trice
Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme