Pays à vendre, à prix cassé. Voilà le slogan convenant le mieux aux gouvernements successifs d’Uribe Vélez et maintenant de Juan Manuel Santos. Leur politique minière n'est rien d'autre que la vieille politique coloniale du troc d'or contre de la verroterie


Le Tolima en Colombie
Canton d'Anaime, Cajamarca, Tolima. (Photo José Antonio Gutiérrez D)

Secteur mégaminier, le rouleau compresseur en roue libre
Carte des titres miniers en Cajamarca, majoritairement accordés à AngloGold Ashanti (en rouge)
Autre exemple : celui de Puerto Gaitán, dans le Meta, municipalité qui a reçu le plus de royalties au titre de l’exploitation pétrolière. Cependant, les enfants y meurent de faim, (13 rien qu’au cours du premier semestre 2011) et l’on enregistre un des taux de mortalité infantile les plus hauts du pays, avec 61 enfants pour 1000, trois fois plus que la moyenne nationale. De son côté, la population manque des services de base comme l’accès sûr et stable à l’eau potable ou à l’électricité, et les chemins que l’on a construits ne sont là que pour permettre la sortie de l’ « or noir » [4]. Il se produit à peu près la même chose avec le Cerrejón dans la Guajira : malgré les immenses richesses produites par plus de deux décennies d’exploitation du charbon, la population locale continue de connaître des niveaux d’analphabétisme, de malnutrition, d’inégalité et de manque de ressources de base bien supérieurs à la moyenne nationale.[5]
Voilà les éléments qui permettent de comprendre le pourquoi de la résistance populaire croissante face aux mégaprojets miniers qui s’étendent petit à petit sur tout le territoire national.
Un nouveau mythe d'Eldorado
Aujourd’hui, on produit 40 tonnes annuellement et le projet gouvernemental est d’intensifier la production pour atteindre les 80 tonnes vers 2019 [8]. La bagarre n’est pas pour le seul contrôle de la production d’or, mais aussi pour le contrôle des titres miniers. D’après l’analyste Mario Valencia, "le business, c’est évidemment l’extraction de l’or mais aussi la vente des actions des entreprises qui ont les titres miniers. C’est presque la même chose avoir l’or en lingots dans les banques que dans la montagne" [9].
Les entreprises principales qui possèdent des titres d’exploitation aurifère sont l’AngloGold Ashanti ( au moins 410 titres- 391 directs, 19 par le biais d’Explorations Choco Colombia S.A.S., contrôlant au moins une superficie de 821 087 hectares) et la Continental Gold (au moins 135 titres, pour une surface de 111 000 hectares) ; il convient de souligner que ces chiffres sont des estimations, car ces entreprises opèrent sous des noms, filiales, raisons sociales différents etc…Toutes deux sont associées dans l’exploitation de La Colosa, dans la commune de Cajamarca, Tolima, l’AngloGold Ashanti étant majoritaire. Toutes ces concessions sont pour 30 ans, prolongeables de 30 ans supplémentaires [10]. On espère que l’exploitation de La Colosa démarrera en 2019, année où le gouvernement s’est fixé l’objectif de multiplier par deux la production aurifère ; ce seul fait prouve que La Colosa n’est pas un projet de plus, mais une pièce maîtresse dans le projet du bloc dominant.

Militarisation et secteur minier
Dans ce cadre de militarisation croissante, 573 mines dites “illégales” ont fait l'objet d'interventions [15]. Cette militarisation et la présence importante de groupes paramilitaires sous l’aile de l’armée pour qu’ils fassent le sale boulot, aboutit à de violents accrochages et violations contre les communautés. Ces dix dernières années, d’après les Brigades de Paix Internationales, 80% des violations des droits humains et 87% des déplacements forcés en Colombie ont eu lieu là où sont développés des mégaprojets d’exploitation minière (il existe 42 districts miniers composés de 328 communes), ainsi, 78% des attentats contre des syndicalistes ont été perpétrés contre ceux qui travaillent dans le secteur minier et énergétique[16].
Dans la zone d’Anaime, en Cajamarca, depuis l’arrivée de l’AngloGold la militarisation de la vie de la communauté a considérablement augmenté, touchant le tissu social. Un dirigeant communautaire de la région, Yesid Muñoz, du Comité Environnemental et Paysan de Cajamarca, nous parle de l’atmosphère de militarisation vécue à Anaime :
« L’AngloGold fait travailler beaucoup de paysans. Le peu de jeunes qui restent à la campagne est poursuivi par l’armée le dimanche et recruté de force. Je demande au gouvernement colombien où est la différence entre la guérilla qu'il critique parce qu'elle recrute des garçons de 16 ans alors qu’eux les poursuivent comme des fous pour les recruter(…) La militarisation ici vous la voyez le long de la route panaméricaine, dans les carrefours. Au bord de ces chemins vous voyez des maisons misérables surpeuplées. C'est quoi que l’armée surveille ? Ici, il n’y a pas de gros riches ni de gros propriétaires, ce qu’ils cherchent, c’est à intimider le paysan, le peuple ».

“Je comprends que l’armée travaille avec l’AngloGold, qui paye pour être protégée et c’est comme ça qu’ils ont commencé la militarisation chez nous. Si on n’est pas d’accord avec l’entreprise, on te colle instantanément l’étiquette de guérillero. Il y a de nombreux cas d’abus de pouvoir, ils te surveillent et dès qu'il y en a qui moucharde que t’as été contre l’AngloGold, alors ils commencent à te pourrir la vie. Mais il faut qu’on regarde vers le futur et on est prêts à tout à condition que le projet n’aboutisse pas parce qu’il va beaucoup nous toucher ainsi que les générations futuresˮ.
Même si maintenant les cadres de l’AngloGold se la jouent “ce n’était pas moiˮ, prétendant qu’ils n’ont jamais traité personne de guérillero, en novembre, des rumeurs couraient parmi les paysans de la communauté que des cadres de l’entreprise disaient que l’armée ouvrirait le chemin à l’AngloGold Ashanti, en coursant « ces “guérillerosˮ et “révoltésˮ d’Anaime. Il n’y a pas de fumée sans feu.
L’or ne se mange pas
Paysage d’Anaime, Cajamarca, Tolima.
On hypothèque tout cela avec le rouleau compresseur minier
(Photo José Antonio Gutiérrez D.)
« L’AngloGold offre aux paysans des salaires allant jusqu'à 800 000 pesos (=340 €) mensuels, ce qui les a amenés à cesser de travailler la terre. Pourtant la plus grosse partie de cet argent est un mirage, parce qu’ils le dépensent en transports et repas. Il faut voir plus loin que l’argent qu’on leur verse pour un mois, parce qu’on touche à notre eau, ils nous volent l’eau et cela commence à affecter l’environnement. Et même si on ne voit peut-être pas encore toutes les conséquences, tôt ou tard, nous devrons bien les voir ».
“On nous pollue l’eau, cela va toucher les terres de culture…cela entraîne des déplacements… ils achètent peu à peu des terres et en retirent les paysans qui produisent des aliments pour le pays. Ils créent de l’inimitié et des conflits entre voisins, ils exercent des pressions sur les gens qui sont en désaccord sur la manière d’essayer de faire changer la façon de penser des gens qui encadrent des processus et informent les paysans par ici. Ils font courir le bruit que ce sont des menteurs, que le projet est ce qui peut arriver de mieux à Cajamarca ».Les producteurs locaux de lait seront aussi touchés (Photo José Antonio Gutiérrez D.)
Le mécontentement des paysans de la zone face à la multinationale est une partie du malaise qui frappe toute la campagne colombienne et qui ces dernières semaines s’’est exprimé dans des protestations massives des producteurs de café et de cacao. C’est le résultat de la ruine à la laquelle le paysan a été conduit par l’ouverture néolibérale et les traités de libre-échange, ainsi que la politique séculaire de spoliation à l’encontre des paysans. Yesid Muñoz nous fait remarquer, faisant écho à la ré-articulation croissante du mouvement paysan et de ses revendications, que :
« AngloGold Ashanti ne peut nous tromper avec sa propagande qui nous incite à rendre la campagne productive et compétitive, alors que ce qui les intéresse, c’est de faire partir les paysans de la zone. Chaque jour la télé nous trompe en montrant des choses fictives mais ici, vous voyez la réalité. Le gouvernement traite très mal le monde rural, il ne s’intéresse pas au paysan, et après ils s’associent à ces entreprises multinationales en disant que c’est pour créer des emplois, mais ils leur donnent tout à elles, tous les moyens qu’ils refusent aux paysans de Colombie. Voyez, le gouvernement a fait toutes ces routes pour l’AngloGold alors que nous, on les réclamait depuis cent ans. Avec une campagne aussi productive que la nôtre, ce que nous voulons, c’est de l’aide pour produire ».
Le rouleau compresseur qui essaye d’avancer sur un peuple qui ne se laisse pas asservir

Le dynamisme de la lutte pour la défense de la vie et contre La Colosa est fort, comme nous l’explique une camarade qui participe au Comité Environnemental et Paysan de Cajamarca.
“ Quatre marches carnavals ont eu lieu à Ibagué, réunissant 30.000 personnes contre le projet de La Colosa et pour la défense de l’eau. Il y a eu également des séminaires et des veilles à Anaime, 2 rencontres d’ECOVIDA, qui ont permis à la population de s’informer de source sûre sur le projet, en effet Marche populaire contre La Colosa, Cajamarca, Tolimal’entreprise qui changeait de nom au fil des années depuis plusieurs années différents noms n’avait jamais donné d’informations. Le 1er août de l’an passé une mobilisation nationale contre le rouleau compresseur énergético-minier a eu lieu et 1000 personnes se sont mobilisées à Cajamarca, ce qui est très significatif. On note aussi l’action populaire d’Usicoello, organisation qui regroupe les usagers paysans du Rio Coello, contre le projet minier… de cette rivière dépendent environ 800.000 personnes, donc l’impact de La Colosa est impressionnant. Le 22 février, les autorités municipales de Piedras, de l’ONIC, du CRIC, de l’Université de Tolima, de Fedearroz, des comités environnementaux, se sont mis d’accord et ont écouté un compte-rendu sur les préoccupations de la Contraloria (services du Contrôleur général de République) à propos des impacts environnementaux de ce mégaprojet… ce jour-là, le projet a été rejeté en bloc, et devant la quantité d’indicateurs de risques et la pression populaire, le gouverneur en personne a été obligé de prendre position contre le projet. Cette manifestation du 22 février a été très importante. Hier, 7 mars à l’Université Coopérative d’Ibagué, on comptait plus de 500 leaders communaux et sociaux, enseignants, environnementalistes et à l’unanimité La Colosa a été rejetée ».
“Les paysans se sont organisés en comités environnementaux, comme le Comité Environnemental et paysan de Cajamarca qui regroupe 17 formes d’organisations territoriales, des leaders de Juntes d’action communale, des paysans, des environnementalistes… Nous sommes pour la défense de l’eau, de la souveraineté alimentaire et territoriale, ce n’est pas que nous ne voulions pas du progrès pour la région… il y a également le Comité environnemental pour la défense de la vie qui fonctionne à Ibagué, et le Comité environnemental du Sud de Tolima. Un autre Comité pour la défense de la rivière Opia, à Piedras, et là avec le soutien du maire et du conseil. On trouve aussi le Comité pour la défense de la rivière Lagunillas à El Libano. Dans toutes les municipalités, se développent des comités et des collectifs qui ont pris conscience que la lutte pour les prochaines années sera pour l’utilisation des terres, lutte sociale et environnementale, lutte d’autant plus si c’est une multinationale qui l’exploite en nous exploitant en même temps. Il est important de signaler qu’il existe aussi à Bogota un Comité Environnemental de Soutien à Tolima ».
“la région qui réunit Cundinamarca, Meta, Boyacá, Tolima, les frontières avec les régions de plaines et Quintio, les sorties vers le sud du pays, c’est central… disons que Tolima est l’épicentre du conflit social et territorial que connaît le pays : nous avons le plus grand projet minier de tout le continent, le problème des sept centrales hydroélectriques à Tolima, de l’infrastructure et des routes pour le TLE, la navigabilité du Magdalena, il y a plus de 5 bataillons de tout type dans la zone et la base militaire de Palenquero, de Puerto Salgar en accord avec les USA et toute l’aire de consolidation du sud de Tolima. Il y a une réorganisation du pays et cette zone centrale est la plateforme logistique, financière et de contrôle du conflit social parce que c’est ici que se trouve également le centre urbain du pays. Tolima prend une importance politique qu’elle a déjà eue à d’autres moments, notamment pendant la guerre des Mille jours (1899-1902) et la période de la Violence (1946-1966). Elle a aujourd’hui un rôle central au niveau financier et en termes de luttes sociales ».
Affiches de mobilisations contre La Colosa
Notes
[1] http://www.polodemocratico.net/index.php?option=com_con...d=240
[2] Agua o Minería, un debate nacional, Tatiana Rodríguez y Danilo Urrea, CENSAT Agua Viva, 2011, p.4
[3] Colombia, Boletín Informativo No.18 de PBI Colombia, Noviembre de 2011, pp.4-5.
[4] http://www.semana.com/nacion/articulo/fisica-hambre/246...880-3
[5] http://www.dinero.com/actualidad/economia/articulo/el-m...69278
[6] Ahumada, Omar, El ‘boom’ apenas empieza en el país, El Tiempo (Suplemento ‘debes leer’), p.2, 2 de Diciembre, 2012
[7] http://www.prensarural.org/spip/spip.php?article6486 ; sobre los antecedentes de la violencia en el Nordeste Antioqueño ligada a la disputa por la riqueza aurífera, ver http://www.periferiaprensa.org/index.php/edicion-actual...queno
[8] http://www.portafolio.co/Especiales/Balance-gobierno-20...144-3
[9] Los Dueños del Oro, El Tiempo (Suplemento ‘debes leer’), p.3, 2 de Diciembre, 2012
[10] Ibid, Algunas mineras están negociando algunas de las 52 reales cédulas, para que no quede duda del tufillo colonial de la actual política de minas, las cuales serían explotables a perpetuidad.
[11] Ibid, p.4. Los campesinos de la región, sospechan que no sólo hay oro en La Colosa y que eso determina otra clase de intereses. Nos decía un campesino que “se sabe de buena fuente que ahí también hay uranio, que se lo llevan con escoltas para el aeropuerto”.
[12] Agua o Minería, p.8
[13] http://www.codhes.org/images/stories/pdf/bolet%C3%ADn%2...7.pdf
[14] http://www.eltiempo.com/politica/ARTICULO-WEB-NEW_NOTA_....html
[15] Agua o Minería, p.6.
[16] Colombia, p.3-6.
[17] http://www.elnuevodia.com.co/nuevodia/tolima/regional/1...s_3=2 ; http://www.elespectador.com/noticias/nacional/articulo-...ogold
[18] Agua o Minería, p.8
Gracias a: Tlaxcala
Fuente: http://www.es.lapluma.net/index.php?option=com_content&view=article&id=4651:2013-03-12-17-58-17&catid=91:multinacionales&Itemid=423
Fecha de publicación del artículo original: 12/03/2013
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